Le monde en pente douce

Modérateur: yann

Le monde en pente douce

Messagepar yann sur Mar 5 Aoû 2008 00:25

Le monde en pente douce

Pendant que les hommes partout cultivent consciencieusement leurs passions petites et grandes, le principe de réalité du capitalisme global est possiblement à la veille de s’imposer contre les multiples tentatives modernes d’organisation politique de la Cité. Les passions sont bien commodes qui alternativement incarnent des rêves de changement, servent de paravents ou sont utilisées comme instruments au service de la poursuite du dessein général. Jamais plus qu’aujourd’hui la nécessité de dévoiler, par-delà les passions humaines, la véritable nature de la marche des choses ne fut un impératif de la Raison. Pourtant, il paraît peu probable que celle-ci puisse l’emporter à bref délai.
Entrons dans le vif de la confrontation présente entre la diversité des passions et l’unicité de la raison capitaliste. Jamais dans l’Histoire le capital n’a disposé d’une base aussi large qu’en ce début de 21ème siècle pour dominer un « monde du travail » - et tout ce qui s’y rattache – devenu quant à lui de moins en moins uniforme, donc de plus en plus inorganisé. L’élargissement de la domination du capital que l’on nomme pudiquement mondialisation est principalement dû au renoncement progressif aux diverses possibilités de régulation économique et financière dont disposaient les puissances publiques nationales il y a encore un quart de siècle. Dans les pays démocratiques, la lente mais sûre « adaptation aux incontournables lois du Marché » s’est faite grâce à l’adoption de lois par des assemblées élues et non nécessairement à Droite. Ailleurs, ce sont des dictateurs assez souvent corrompus qui se sont attelés à cette tâche libératrice, fréquemment sous les injonctions conjointes du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale.
Les craintes affichées – à défaut d’être pleinement ressenties – de la globalisation s’exprimèrent dès la fin des années quatre-vingts par l’invention du concept de « gouvernance mondiale » et l’élaboration du discours informe qui lui est associé. Quand l’économie et la finance se mondialisent il conviendrait que leur régulation par des instances politiques soit elle-même mondialisée. Partout, les hommes de gouvernement et d’organisations internationales se mirent à pérorer et devinrent insatiables sur ce sujet qui pourtant demeura flou. Hormis l’inconsistance du contenu donné à la chose par ceux qui en parlent si abondamment une contradiction sauta vite aux yeux des observateurs naturellement méfiants ou franchement critiques : comment les Nations peuvent-elles en même temps renoncer toujours plus à leurs prérogatives d’orientation – voire d’organisation – de l’économie et réussir à concrétiser leur volonté proclamée de gouvernance planétaire ?
Le 21ème siècle commence fort mal. La dite gouvernance ne connaît pas le moindre début d’application concrète. Le G8 en témoigne à chacune de ses impuissantes réunions que l’on continue imperturbablement à nommer sommets, sans doute pour faire diversion. La circulation du capital sans aucune forme d’entrave met désormais en concurrence mutuelle les travailleurs du monde entier. Le « prêt de main d’œuvre » aux conditions du pays d’origine va se répandre, y compris dans l’Europe du Traité de Lisbonne comme l’annoncent déjà les récents arrêts de la Cour européenne de justice. En fait de gouvernance, ce sont les règles de fonctionnement et les principes de gestion des entreprises privées qui s’imposent partout. Mais, il y a pire encore : ces règles et principes sont désormais introduits dans l’Administration et les services publics par ailleurs souvent menacés par la privatisation. La « gouvernance privée » aux effets dévastateurs pour les sociétés humaines et les écosystèmes qui les font vivre est en passe de condamner définitivement le rêve de gouvernance politique. C’est big mother qui demain va forger nos destins individuels et collectifs.
Le monde glisse ainsi depuis trois décennies sur cette pente douce qui chaque année s’incline davantage et pourrait devenir abrupte. De nombreux leurres sont lancés ou simplement favorisés pour distraire – dans les deux sens du mot – les multitudes en souffrance. Quand cela ne suffit pas – et cela suffit de moins en moins – on criminalise la misère, on punit les pauvres d’être nés ou devenus pauvres. Dans l’abdication générale des puissances – le mot est désormais impropre – publiques face à la sphère marchande privée, comment ne pas penser au temps d’avant l’invention de l’Etat quand les familles princières tenaient Gènes, Venise ou Florence. Chaque famille avait son armée, sa police, sa diplomatie… et une colossale fortune. C’était avant la démocratie. Les Lagardère, Arnaud, Bolloré, Pinault ou Berlusconi ne sont-ils pas un peu les Borgia d’une époque en voie de reféodalisation ?
Il est temps de ne plus se tromper de cible, de ne plus abandonner la proie pour son ombre distrayante. C’est bien à la raison capitaliste dévoreuse du bien commun qu’il faut s’en prendre, aux jouisseurs sans limites des fruits de cette raison qu’il faut s’affronter pour qu’une société meilleure advienne, pour que la planète reste un espace viable, pour que vivent d’autres valeurs que celles de ces princes à l’esprit étriqué. Alors, l’idéal démocratique aurait de nouveau un avenir.

Yann Fiévet
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