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Vulgaire !

MessagePublié: Lun 28 Avr 2008 15:08
par yann
Vulgaire !

Il faut se faire une raison. La vulgarité a subitement pris son envol au soir de la victoire de notre nouveau Président de la République. Certes, elle existait déjà avant ce jour mémorable, généralement tapie discrètement dans l’ombre des VIP. Désormais, elle s’exhibe en pleine lumière, au sommet de l’État, sans pudeur ni crainte qu’elle puisse irriter le citoyen, sous l’œil affûté des caméras voyeuses, amplifiée par les commentaires serviles de journalistes douteux, scrutée par le regard fasciné d’une foule informe insidieusement préparée à cet abandon grotesque. Nous le devinons déjà : il va être difficile de contenir cette tempête de vulgarité aux multiples visages. Une étape a été franchie qui nous mènera loin sans doute, plus loin peut-être que nous ne l’imaginons aujourd’hui.
Vulgaire, la fête vespérale du 6 mai où les « people » se firent concurrence dans un « qui mieux mieux » surréaliste tellement éloigné du vrai sens du mot politique. Tout y est passé : le laïus pitoyable de la rock star éméchée un temps réfugiée chez les Helvètes et prompte en ce soir glorieux à colporter le message téléguidé de son maître à penser le nouvel ordre moral et social ; la voix oubliée de la toujours demoiselle d'Avignon requise un soir pour entonner l'hymne national devant la foule en liesse massée à la Concorde ; l'approximation langagière de l'ancien roi des tatamis reconverti dans le commentaire politique servile et plat pour émission de télévision sans originalité de soir de scrutin. Les messages font mouche dans les chaumières. « Nicolas Sarkozy aime sa famille et ses amis. Il ne peut donc pas trahir son pays », proclame le rocker pénétré de cette banalité insondable. « Nicolas Sarkozy est vraiment dans la proximité avec les gens », énonce le petit commis aux pièces jaunes préparant sa reconversion. On vérifiera la profondeur de cette proximité dès le lendemain sur la mer.
Vulgaire le bras d’honneur présidentiel fait au peuple que représente la clinquante croisière méditerranéenne. Une petite escapade familiale et maritime offerte par un ami désintéressé. Le bateau appartient à Vincent Bolloré, l’une des plus grosse fortune de France, et est immatriculé à Malte, un paradis fiscal sans aucun avantage pour les « gens de peu » mais providentiel pour les « gens de biens ». MM. Sarkozy et Bolloré jurèrent que les entreprises du second ne passent aucun marché avec l’État que va diriger désormais le premier. C’est faux ! Et de juteux marchés, même. La presse le fit savoir illico presto, du moins celle qui n’est pas aux ordres de MM. Lagardère, Pinault ou Bolloré, tous amis du nouveau Prince. Le peuple encore tout extasié n’en a cure. Il ne voit pas que dans la confusion entre le luxe de tout temps normalement légitimé et ce « tape-à-l’œil » grossier on se moque ostensiblement de lui. Il a oublié qu’en des temps pas si lointains on eût parlé de corruption.
Vulgaire la mise en scène millimétrée qui nous fut servie le jour du sacre officiel. Le baiser sur la bouche de l’épouse volatile administré sur le perron élyséen sera vite couché sur le papier glacé des magazines pour salles d’attente. Il est là le bon goût français, dans toute sa contradiction. On accepte de bonne grâce que le Président de la République ait une vie privée extraconjugale, parfois même une double vie, mais on détesterait assister à l’emménagement d’un chef de L’État célibataire forcé. Que voulez-vous ? Les gens aiment que l’on sauve les apparences. Le pouvoir, en haut lieu, a décidé qu’il aurait tort de ne pas se servir de ce faux-semblant avec abondance. La République se vautre à présent dans le banal le plus racoleur quand elle devrait savoir garder ses distances avec lui.
Ce début de quinquennat manque singulièrement de classe. Il va falloir s’habituer à cette « proximité » que la substitution de la culture de masse à la culture populaire a fini par produire. Hier, les élites se tenaient à bonne distance du « reality business » dont elles se contentaient d’espérer qu’il parvienne à détourner la « populace » des vraies questions politiques. Maintenant, elles entendent l’utiliser activement. La manipulation des esprits les moins armés pour la résistance aux fausses évidences est lancée. Seule une éducation populaire digne de ce nom pourra relever le défi du redressement intellectuel. Alors seulement, la citoyenneté enfin conquise bannira l’alibi commode et illusoire de la proximité.

Yann Fiévet
Mai 2007