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Poignant !

MessagePublié: Lun 28 Avr 2008 15:17
par yann
Poignant !

Les rives du fossé s’écartent, inexorablement. Le coup de tonnerre du 21 avril 2002 a fini de faire entendre son écho. Les déclarations péremptoires de l’époque, tentant de nous persuader que les élites dirigeantes sauraient à l’avenir écouter le peuple, ne sont plus qu’un lointain et brumeux souvenir. La fragmentation sociale issue d’une crise économique déjà vieille de trente ans, l’inaptitude des hommes et femmes de pouvoir à appréhender les dimensions réelles du mal de vivre des plus démunis, le sentiment profond ressenti par les humbles face aux « affaires » politiques troubles jamais élucidées, tout cela – et d’autres choses encore – a achevé de mettre le politique à distance respectable du débat démocratique qui, du coup, ne cesse de s’affaiblir. On n’est sans doute pas à la veille de combler ce gouffre comme en témoignent magistralement quelques récents événements.
Les commentaires politico médiatiques dominants, au lendemain du referendum espagnol du 20 février dernier, eurent été un moment délectable si l’inconséquence qu’ils révèlent n’étaient pas si grave. Voilà un peuple qui s’abstient de voter à 58% sur une question censée l’intéresser et nos analystes aveuglés par on ne sait quel radieux soleil se félicitent que l’abstention ne soit pas plus importante. C’est dire s’ils sont mal assurés de leur fait, mal convaincus de la qualité du produit qu’ils nous vantent. Combien vaut-il ce produit sur lequel les Portugais se prononceront le 10 avril prochain et les français quelques temps plus tard, ils le situent où le prix, nos politiciens et éditorialistes qui s’entendent comme larrons en foire ? À 70% d’abstention ? 80% ou plus encore ? Le vrai chiffre sur lequel il convient d’appuyer toute analyse politique sérieuse, le voici : 32% des Espagnols en droit de voter ont dit « oui ». Moins d’un citoyen sur trois. Mais, emballé c’est pesé nous disent les bonimenteurs, et autres bateleurs d’estrades télévisuelles.
Parfois, il leur arrive de nous faire rire, certes bien malgré eux. En ce matin d’inoubliables commentaires, l’un des ténors du microcosme ambiant dont nous tairons, par décence, le nom tout en précisant qu’il est un présidentiable de gauche en puissance – certains caricaturistes diraient « en impuissance » – causant sur France-Inter à l’heure du petit déjeuner, nous fit tressaillir au-dessus du bol de café encore fumant. Quand il sera reçu à l’Élysée par le Président de la République, il lui dira que le débat d’avant le referendum français devra être équitable. « Il faudra 50% pour les partisans du « oui » et 50% pour les partisans du « oui ». Notre homme compte bien : cela fait, au total, 100%. Et 0% pour le débat démocratique, probablement. Ces gens sont poignants qui font mine d’être dans le débat tout en freinant des quatre fers pour qu’il ne se tienne vraiment. On aurait tort de rire. Normalement, il est ici question de politique.
C’est depuis ce microcosme artificiel coupé de la vie réelle que certains de ces hommes avisés se sont autorisés à dénoncer la décision majoritaire des militants de la CGT en faveur du « non ». Dénonciation qui confine à l’insulte lorsqu’il s’agit de dire que l’Europe en construction n’est pas celle de la Stasi et de la Securitate, des polices politiques dont les cégétistes d’aujourd’hui pourraient être nostalgiques. Comme s’il existait encore le moindre risque de ce côté-là. La peur, toujours la peur que l’on agite pour se rassurer face à ses propres frayeurs. On fait également remarquer à ces « irresponsables » que, fort heureusement, d’autres syndicats « européens » connaissent l’art du compromis social. Mais de quel compromis social parlent-ils ? Dans quel monde vivent-ils donc pour ne pas s’être encore aperçus que le patronat, partout, reprend aujourd’hui ce qu’il avait été contraint de lâcher hier, précisément quand le compromis était possible ? Vient alors le reproche suprême. En appelant à voter « non » vous faites de la politique, savez-vous. A-t-on fait ce reproche aux militants et cadres de la CFDT quand ils appelèrent à voter « oui » ? Quel aveu, mes aïeux ! La voilà la clé. Ils reconnaissent enfin ne plus faire de politique. Ils sont au-delà de la politique, au-dessus du débat qu’ils exècrent désormais, en suspension dans un néant qui ne satisfait qu’eux. Il leur resterait un ultime effort à fournir : comprendre que c’est précisément ce dégoût du débat qu’ont les professionnels de la politique, et qu’ils transpirent à grosses gouttes, qui dégoûtent le peuple. On préfère se pincer le nez ou détourner la tête. On s’abstient en attendant des jours meilleurs.
Non, finalement, ils ne sont pas poignants. Ils sont pathétiques. De ce pathétique qui nourrit lentement les tragédies.

Yann Fiévet
Février 2005