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Vil pain

MessagePublié: Lun 28 Avr 2008 15:18
par yann
Vil pain

Allez, tout ne va pas mal dans nos sociétés libérales surmédiatisées. La pauvreté, elle, se porte bien. Elle prospère doucement, bien à l’abri de l’écran de fumée des statistiques officielles édulcorantes. Les élites qui nous gouvernent ont des préoccupations plus nobles que de mesurer l’ignoble. Elles ont cassé le thermomètre pour mieux ignorer la maladie. Pire, elles ont l’œil rivé sur un autre instrument, le CAC 40, dont les pauvres ont l’audace de se moquer comme d’une guigne. Ces pauvres auxquels on reproche désormais de mal mériter leur pain. Au travail ! Le pain, ça se paie. De nouvelles libéralités faites à la loi économique dominante vont embellir encore la pauvreté.
La dernière mesure des inégalités dde revenus en France date de 2001. Et la méthode utilisée par l’INSEE pour effectuer cette mesure minore nettement les revenus du patrimoine qui sont pourtant ceux dont la progression a été la plus forte depuis vingt-cinq ans. Si on en croit l’officiel Institut, le taux de pauvreté aurait diminué entre 1986 et 2001, passant de 7,1% à 6% de la population du pays. Foin de ces sornettes. Des esprits retors, des résistants à l’enthousiasme convenu, ont fort à propos fabriqué un instrument de mesure d’une toute autre qualité. Le BIP 40 (Baromètre des inégalités et de la pauvreté), du Réseau d’alerte sur les inégalités (RAI) montre une nette progression de la pauvreté depuis vint ans. Qui plus est, cet indicateur synthétique affiche une hausse record pour l’année 2003 avec +8% après une hausse de +6% en 2002. Le BIP 40 est composé de 61 séries statistiques dans six domaines repérés comme renfermant les inégalités les plus significatives : revenu, emploi, santé, logement, éducation et justice. Ce large spectre fait toute la fiabilité de l’indicateur tant il est patent que la pauvreté est un phénomène cumulatif (1).
Est-il encore besoin de dresser la liste des causes de l’essor des pauvres ? La montée du chômage global, l’augmentation du nombre de chômeurs de longue durée, le développement de l’a précarité de l’emploi sont les facteurs principaux de la pauvreté. Des raisons, en apparences secondaires, aggravent le phénomène. Ainsi de la flambée des loyers qui frappe durement les locataires les plus modestes en amputant dangereusement leur pouvoir d’achat consacré à la satisfaction des besoins vitaux. L’année 2003 a marqué d’autres records : celui du nombre des expulsions et celui du nombre de chèques impayés. L’augmentation du nombre de personnes atteintes de maladies professionnelles non reconnues mais néanmoins bien réelles ainsi que la recrudescence de cas graves d’accidents du travail soumettent des populations déjà vulnérables à des difficultés quasiment insurmontables. L’augmentation du nombre d’enfants et d’adolescents en échec scolaire ainsi que la forte hausse du taux d’incarcération pour délits divers ne font que préparer les envolées futures de la pauvreté.
C’est dans ce désastreux contexte de paupérisation que s’inscrit la nouvelle doxa des doctes observateurs de nos sociétés décrétées paresseuses. Il convient de toiletter – on admirera l’élégant euphémisme – le code du travail afin de remettre au boulot tous ces vilains profiteur de la protection sociale en déconfiture. Le pauvre est le premier coupable de sa pauvreté. Le seul coupable, si ça se trouve. On doit l’en convaincre. Il doit s’en convaincre. Qu’il se retrousse les manches, à vil prix le plus souvent, pour mériter enfin sa pitance. Le contrat de deux ans vient d’être inventé pour lui. Il serait bien ingrat de ne pas s’en saisir. Et tant pis si, malgré de loyaux et courageux efforts, à la veille de l’expiration du contrat il est renvoyé à son ancienne destinée. Corvéable à merci il doit rester, comme tous ses frères de débine, pour la nécessaire flexibilité de l’entreprise si durement soumise à la concurrence.
La spirale déroule ainsi son œuvre depuis vingt ans et rien ne permet d’espérer qu’elle ralentisse sa course. On nourrit chaque jour cette machine à fabriquer la pauvreté. Pathétiques, pour ne pas dire pitoyables, nos élites en sont encore à croire que des miracles peuvent s’accomplir en « cent jours ». La morne plaine d’un autre Waterloo nous attend.

Yann Fiévet
Juin 2005


(1) www.bip40.org