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La fin d’un monde

MessagePublié: Lun 28 Avr 2008 15:22
par yann
Le Peuple Breton – octobre 2004 Leurre de Vérité

La fin d’un monde

Pourquoi ne pas annoncer la terrible nouvelle ? Le monde développé est engagé dans une impasse et se refuse à reculer pour emprunter une route plus sûre vers un avenir moins sombre. Pire, il entraîne chaque jour dans son sillage criminel de nouveaux candidats à la fuite en avant. L’exemple de l’économie du pétrole nous offre probablement la meilleure illustration d'un suicide planétaire programmé.
Comme ils sont rassurants, les experts ! Le baril à 50 dollars n’interrompra pas la Croissance mondiale. La production de 83 millions de barils par jour suffit à contenter la demande actuelle même si la Chine a augmenté sa consommation d’or noir de 40% depuis le début de cette année. Pour être honnête, il convient de préciser que ces experts béats d’optimisme ne nous parlent pas de n’importe où. Ils sont économistes auprès du FMI ou de la Banque mondiale, au sein de grandes banques telle la BNP-Paribas, ou juchés sur les derricks érigés par les « majors » du secteur. Disons-le brutalement : ces experts-la ont une vision courte basée sur des schémas dépassés. Ils sont payés pour faire tourner sur de puissants ordinateurs leurs modèles macro-économiques construits sur l’idée de la croissance infinie. On les rémunère grassement pour qu’ils profèrent des incantations apaisantes, non afin qu’ils tirent des sonnettes d’alarme inquiétantes. Jamais on ne se demande si on ne nourrit pas là des bouches inutiles quand la question se pose si souvent pour le moindre des salariés ordinaires. Il n’existe pas de sureffectifs chez les experts « tant mieux ». Le FMI basé à Washington ne compte pas moins de 1500 économistes sillonnant la planète pour y uniformiser discours et stratégies. Bref, tout ce petit monde a intérêt à ce que rien ne change. Les « décideurs » politiques les suivent aveuglément quand ils ne les poussent pas à trahir la vérité de l’expertise.
Bien sûr, il est d’autres experts – qui parfois répugnent à revendiquer ce titre galvaudé – se sentant idiotement investis d’une mission : brandir la menace du chaos à laquelle le commun des mortels est d’abord porté à ne pas croire. On ridiculise facilement ces experts « tant pis ». Comme on a bien tort ! Quelle est la menace ? Quelques vérités sont très mauvaises à dire et à entendre. Le temps du pétrole bon marché est derrière nous. Pour satisfaire la demande présente tous les robinets puisant dans les réserves facilement exploitables sont grands ouverts. Faire face à la demande future – probablement en hausse sensible – sachant que les réserves « faciles » vont progressivement être épuisées, nécessite d’exploiter d’autres réserves, épuisables elles aussi, dont le coût de production sera très élevé. Les prix flamberont et mettront en péril les modes de vie des sociétés dépendantes du pétrole. Allez, on nous a déjà dit cela en 1973 et 1979 lorsque l’OPEP multiplia le prix du baril par douze. Oui, mais le problème est désormais différent et cette fois irréversible : la raison de la flambée des prix dans l’avenir sera géophysique alors qu’elle n’était que géopolitique hier.
La dépendance à l’égard de ce visqueux liquide est oppressante. Prendre un bain chaque jour pendant un an suppose la combustion d’une tonne de pétrole. Produire une seule ramette de papier nécessite de brûler trois litres du même combustible. Il est aisé de multiplier ces équivalences énergétiques de nos besoins quotidiens petits ou grands. La liste cumulée en est terrifiante. Il est, en revanche, malaisé d’accepter l’idée que nous glissons ainsi allègrement sur une pente fatale. Toutes les productions agricoles intégrées au jeu du commerce mondial sont excessivement énergétivores. Chaque fois qu’un pays en développement, cédant aux pressions du « consensus de Washington », décide d’insérer son économie dans le carcan de l’ « Organisation Commerciale du Monde », c’est un pas de plus qui est franchi vers l’épuisement pétrolier final. Aujourd’hui, la moitié de l’Humanité seulement – pays de l’OCDE, Chine, grandes villes des pays en développement – peut être considérée comme appartenant à l’économie mondialisée surdépendante de l’énergie fossile. Les planificateurs de l’avenir ont le souci inébranlable d’attraper dans leurs filets l’autre moitié de la population terrestre – soit trois milliards d’individus – qui ne saurait rester plus longtemps à l’écart du Progrès.
Deux obstacles s’opposent au coup d’arrêt de la délirante trajectoire. Comme les dénonciateurs du funeste destin de l’Humanité n’ont pas de plans de remplacement clés en main, on décrète la continuité obligatoire du voyage anomique vers un futur imaginairement radieux. L’intelligibilité des faits rigoureusement étudiés ne suffit pas aux hommes pour qu’ils imaginent ensemble, dénonciateurs avisés et « experts » repentis, un chemin différent vers demain. L’autre empêchement réside dans la croyance en la Science et en les Techniques telles qu’elles sauveront l’Homme de la dramatique prédiction. Avant que le pétrole ne vienne à manquer, nous aurons trouvé les moyens de nous en passer sans dommages et inventé tout ce qui est nécessaire à la poursuite d’une route paisible. C’est sans doute à cela que songe M. George W. Bush quand il proclame que le mode de vie des Américains n’est pas négociable. Hélas ! C’est une chimère. Pis, c’est un crime.

Yann Fiévet
Septembre 2004