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La moderne Amérique

MessagePublié: Lun 28 Avr 2008 15:24
par yann
La moderne Amérique

Il n’est jamais bon de déplaire à l’oncle Sam. Derechef, il se fâche. Il a pris cette fois la figure de Donald H. Rumsfeld. La France et l’Allemagne se voient qualifier par l’atrabilaire yankee de « vieille Europe ». Ce n’est pas la référence à l’Histoire dont les Américains n’ont que faire, sauf pour nous rappeler que « le jour le plus long » ils nous sauvèrent, qui justifie ce propos peu amène. La nervosité du gendarme du monde tient au fait qu’il trouve en face de sa conception de l’avenir de ce monde et des moyens d’y parvenir – pour le salut de tous – des réticences « européennes » dans une Europe une fois de plus divisée. Disons-le tout net : notre dévoué protecteur se trompe sur toute la ligne. C’est l’Occident et l’arrogance de son modèle de développement, hormis de notables différences en son sein, qui sont devenus très vieux. Il faut chercher, partout sur la planète, les ferments de la modernité à créer pour bousculer, puis faire vaciller, la modernité supposée.
George W. Bush avait prévenu le concert des nations peu de temps après les attentats de New York et Washington : si vous n’êtes pas derrière nous, vous êtes contre nous. Ce partage manichéen du monde n’a qu’une seule morale : la raison du plus fort. Si on ajoute à cela que le budget militaire des Etats-Unis dépassera en 2005 le total des budgets de toutes les autres nations réunies, on mesure l’ampleur et la nature du délirant projet. Le maintien du modèle de développement du Nord nécessite une implacable domination du Sud. Il y faudra des moyens. Les Etats-Unis et leur vassal de luxe, la Grande-Bretagne, sont déjà prêts. Les autres souvent hésitent. L’atermoiement est fonction du degré de démocratie car le doute s’est, au fil des hoquets du modèle, emparé des peuples. La morale des « nouveaux maîtres du monde » ne coïncide pas ipso facto avec celle de la société civile dont on a peut-être trop tendance à mépriser le bon sens. On a beau être fier d’être Européen, quand on apprend que les trois-quarts des Africains vivent avec moins de deux dollars par jour pendant que nos vaches « européennes » reçoivent quotidiennement – Politique Agricole Commune oblige – deux dollars et demi , cette fierté finit par être mal placée pour ne pas dire indécente. On a beau être fier d’appartenir au monde riche, quand l’Organisation Mondiale du Commerce, par le veto américain, interdit, pour des raisons purement mercantiles, aux pays du Sud l’importation de copies de médicaments génériques destinés à soigner les pandémies les plus mortelles, la honte écorne passablement cette fierté.
Pourtant, il est réputé que tous ceux qui profitent du modèle et dont le sort est de plus en plus souvent lié aux intérêts américains, incarnent la modernité. Eux, ils vivent avec leur temps. Ils vont de l’avant, toujours plus vite, sans se préoccuper des dégâts qu’ils occasionnent à autrui, à la cohésion sociale, à la nature. Savent-ils au moins après quoi ils courent ? Non, et qu’importe car le but de la course n’est pas au bout de la course mais dans la course elle-même. Cependant qu’ils s’essoufflent à suivre un rythme qui deviendra bientôt intenable, d’autres hommes et d’autres femmes, partout au Nord et au Sud, inventent dans l’ombre, loin des feux restés braqués sur les fous du stade mercantilo-financier, le monde de demain. Ce sont eux les champions porteurs de nouvelles valeurs et, pour la plupart, ils ne le savent pas. Tout comme les « premiers » ne savent pas qu’ils sont, contrairement aux apparences, déjà largués. La bonne course est la course lente – nécessairement lente – vers un modèle alternatif de développement. Certains l’appellent « développement durable », d’autres préfèrent songer à « l’après-développement ». On tranchera plus tard. L’heure est au bouillonnement des idées, des pratiques originales que les conservateurs tournent en dérision quand ils ne cherchent pas à les tuer dans l’œuf. Certains d’entre eux sont néanmoins assez habiles qui récupèrent les mots d’ordre des inventeurs véritables. On pourrait croire que le développement durable est pour demain matin tant le slogan fait florès dans les discours des hommes politiques, sur les plaquettes luxueuses des firmes transnationales, dans les colonnes ou sur les antennes des médias de masse. L’une des tâches – et pas la moindre – des inventeurs sera de démasquer les imposteurs.
Oui, décidément, George « double voyou » Bush et Donald « hache » Rumsfeld sont de « vieux  » hommes. Peut-être laisseront-ils une trace dans l’histoire militaire. En revanche, la trace qu’ils imprimeront dans le progrès de l’intelligence universelle ne se lira qu’au microscope. Et pourtant ils nous font peur !

Yann Fiévet
Janvier 2003