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Les dieux ont soif !

MessagePublié: Lun 28 Avr 2008 15:27
par yann
Les dieux ont soif !

La laïcité dérange, et les laïcs davantage encore. Partout, les intégrismes religieux se font chaque jour plus bruyants que la veille. Partout, leurs zélés représentants revendiquent la reconnaissance de droits destinés à publiciser la pratique religieuse et ainsi faire reculer l’espace laïc de la neutralité à l’égard des croyances et des confessions. Partout où l’on avait su, au cours du XXè siècle, créer un tel espace cantonnant la religion au domaine de la vie privée, la loi est modifiée sous les assauts inlassables des croyants accrocheurs. On aurait évidemment grand tort de stigmatiser une religion plutôt qu’une autre dans ce tohu-bohu qui eût été jugé comme venu d’un autre âge il y a peu de temps encore. Si certaines revendications sont plus voyantes que d’autres, toutes les religions, petites ou grandes, participent de la surenchère nous menant vers l’impossibilité d’une séparation claire de l’Église et de l’État, d’une distinction toujours souhaitable entre le temporel et le spirituel.
Va-t-on demain devoir accepter que l’espace public soit peuplé d’une mosaïque de groupes sociaux d’abord identifiables par l’appartenance religieuse de leurs membres respectifs ? Va-t-on en finir avec l’anonymat confessionnel si nécessaire à la cohabitation intelligente d’individus différents sachant réserver au domaine privé leur différence la plus subjective, celle de la croyance en Dieu, dès lors que personne ne s’accorde sur la bonne manière de servir ce dernier ? Si l’Europe a su, au cours du XXè siècle, avec des fortunes diverses, maintenir la question religieuse à l’écart de la res publica, elle est aujourd’hui menacée de ne plus pouvoir conserver cette impérieuse posture. On se souvient du récent débat à propos de la référence religieuse à inscrire dans la Constitution européenne. Jusque-là, l’Europe communautaire s’était construite sans éprouver le besoin d’inscrire dans ses textes fondateurs une telle référence. Chacun savait que l’Histoire de l’Europe est définitivement – on ne refait pas l’Histoire – marquée par le sceau du christianisme. Cela suffisait de le savoir. Mais, les Polonais ne s’en contentent pas : au moment de frapper à la porte de la Communauté, ils tentèrent de faire inscrire la formule sacrée sans laquelle ils ne pourraient adhérer au projet européen. On garda raison. Cependant, sur d’autres terrains plus concrets la raison a disparu ou est en passe de disparaître.
A Birmingham, la communauté musulmane a obtenu qu’une piscine municipale aménage ses horaires d’ouverture de façon à ce que certaines heures soient exclusivement réservées aux femmes musulmanes se baignant tout habillées sous la surveillance d’autres femmes musulmanes. En France, la commission récemment constituée pour réfléchir aux conditions d’une « nouvelle laïcité » (!) ne cesse de recevoir d’exorbitantes demandes quant à l’entrisme du fait religieux dans l’espace public, à commencer par celui de l’École. Beaucoup de ces demandes concernent la dispense de certains cours où un enseignement soi-disant contraire aux préceptes d’une religion est professé. Les Adventistes du septième jour ont d’ores et déjà obtenu l’autorisation de ne plus mettre leurs enfants à l’école le samedi. Sachant que le premier jour de la semaine est en vérité le dimanche, que Dieu créa le monde en six jours et se reposa le septième jour, donc le samedi, il est inconcevable que l’Homme osât travailler ce jour-là. Il va être de plus en plus difficile d’avoir des classes homogènes par l’emploi du temps et ouvertes au dialogue par l’acceptation libre de principes et valeurs universels étrangers à l’irrationnel religieux.
Le signe le plus patent de la défaite de la laïcité tient à ce que désormais les laïcs sont considérés comme les vrais intolérants, de fieffés sectaires, d’abominables ennemis de la liberté de conscience. Un tel renversement historique des représentations sociales dans un monde où les guerres les plus tenaces sont d’ordre religieux n’annonce pas un avenir radieux. Et l’État de donner l’exemple. Quand le ministre de l’Intérieur se mêle d’organiser l’Islam de France, il rompt bel et bien le principe de séparation de l’Église et de l’État. Si la théocratie, contrôle de l’État par l’Église, est insupportable, le césaro-papisme, contrôle de l’Église par l’État, ne l’est pas moins. Pourquoi le paradis céleste que tous les croyants espèrent doit-il souffrir l’enfer terrestre ? L’Homme n’est toujours pas à la veille de résoudre cette très vieille contradiction.

Yann Fiévet
Août 2003