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Les Armes de Désocialisation Massive

MessagePublié: Lun 28 Avr 2008 15:27
par yann
Les Armes de Désocialisation Massive

En cet automne climatiquement paisible, la troupe du Général Raffarin semble marquer une pause dans son offensive de démantèlement des bases sociales patiemment édifiées par le compromis de l’après Seconde Guerre mondiale. Pourtant, il ne faut pas s’y tromper ; la détermination de nos « gouvernants » est intacte, la stratégie est toujours là, seule la tactique change. La démarche consistant à privatiser les gains et à socialiser les pertes fournit chaque jour de nouveaux exemples. Les pouvoirs publics – cette expression sera bientôt incongrue – ne s’occuperont plus demain que des activités non convoitées par l’entreprise privée capitaliste. Santé et école pour les pauvres, par exemple. Évidemment, le phénomène n’est pas purement français. Cependant, par ses aspects spécifiques, l’ordre social de ce pays est un lieu d’affrontement idéologique particulier.
Comme dans toute offensive digne de ce nom, l’armée raffarinienne organise une diversion pour tromper l’adversaire. Le prétexte choisi est simple, donc facile à inculquer au peuple longuement préparé par vingt années de discours univoque : L’État est trop gros. Il est par conséquent impératif de lui faire subir une sévère cure d’amaigrissement. Les pouvoirs publics ne faisant plus face à leurs anciennes obligations, les services publics sont dégradés. Alors survient le second temps de la diversion, qui est en fait le véritable mobile de l’attaque mais n’est pas présenté comme tel, la privatisation pour plus d’efficacité de ces activités dont l’État et ses émanations s’occupent décidément si mal.
L’exemple de la santé est très parlant. L’hôpital public et le système d’assurance-maladie coûtent trop cher à la Nation. En guise de preuve, les gouvernants – qui, en fait, préfèrent gérer que gouverner – brandissent les déficits budgétaires et sociaux. Ils se gardent évidemment de présenter les raisons profondes de ces déficits. Il est plus facile de reprocher aux médecins leur irresponsabilité marquée par un volume anormalement élevé de prescriptions, de reprocher aux malades de « consommer » trop de soins ou de médicaments, plutôt que de mettre en cause un quart de siècle de gestion économique néo-libérale. Au cours des quinze dernières années la part des salaires dans la richesse créée par le pays (la valeur ajoutée) a perdu dix points de pourcentage (passant de 70% à 60%)) à l’avantage des profits rémunérant le capital. Les cotisations sociales étant assises sur les salaires, on imagine aisément le manque à gagner pour les trois principales caisses de la sécurité sociale (maladie, vieillesse, famille). Il est colossal. Ces dix points de valeur ajoutée manquante représentent, chaque année, 70 milliards d’euros, soit sept fois le déficit de l’assurance-maladie que M. Mattei jette en pâture à l’opinion publique fort mal informée par des observateurs acquis, pour la plupart, au credo du marché vertueux. De plus, on se dispense également, en haut lieu, de chiffrer pour l’opinion assoupie un autre manque à gagner : celui des cotisations sociales que les chômeurs continueraient de payer s’ils n’étaient pas chômeurs. Cette question est terriblement gênante à plus d’un titre ; elle met notamment en cause les licenciements pour convenances boursières. Enfin, et comme si ce qui précède ne suffisait pas à discréditer la « gouvernance » de nos dirigeants, un dernier manque est passé sous silence : l’allègement ou l’exonération de cotisations sociales des entreprises pour leur permettre de créer des emplois. Depuis quinze ans, les gouvernements se sont succédés, et tous ont donné dans ce panneau tendu par le patronat. Les études les plus optimistes font état de 300 000 emplois créés grâce à ces mesures dispendieuses pour les comptes sociaux. C’est mieux que rien mais, à l’heure de l’efficacité gestionnaire érigée en valeur cardinale, c’est une minable performance !
Donc, au lieu de rétablir un ordre économique permettant de satisfaire les exigences sociales démocratiques, on choisit clairement – en jurant le contraire – de céder progressivement aux intérêts privés ce qui est rentable dans le système de soins et dans celui de l’assurance-maladie. L’État, alors devenu sans ambition, ne s’occupera plus que de l’entraide destinée aux plus démunis. Bien sûr, on y mettra le temps qu’il faut ; on agira par étapes, notamment pour éviter de « brutaliser » les esprits. L’idée du « panier de soins » sera une première étape. La Sécurité sociale ne prendra plus en charge que ce qui aura été défini comme appartenant à ce panier. Pour le reste, chacun devra recourir aux assurances privées. Elles sont sur la brèche ; elles n’attendent que cela. Toute la question est de savoir où se situera la frontière entre l’obligatoire (pris en charge par la Caisse d’assurance-maladie) et le facultatif (géré lucrativement par les assureurs privés). Les Mutuelles, qui auraient pu, en 1992, faire le choix de l’obligatoire (le droit européen leur permet encore cela), ont choisi de se mettre en concurrence avec le privé, mettant fin ipso facto à leur vocation première. On le voit, le processus de désocialisation n’a pas débuté hier matin. Dans le projet « Hôpital 2007 », il est prévu de créer des Groupements de Coopération Sanitaire chapeautant un ensemble disparate fait d’hôpital public, de cliniques privées et de praticiens libéraux. Il est évident que dans une telle structure les cliniques utiliseront les matériels financés sur fonds publics sans en payer le juste prix et factureront à leur clientèle un prix permettant de satisfaire au mieux leurs actionnaires. Nombre de cliniques sont d’ores et déjà la propriété de groupes financiers aux intérêts très éloignés de ceux des malades. Ainsi, la Générale de Santé qui comprend plusieurs dizaines de cliniques appartient au groupe Vivendi et compte dans son capital des fonds de pension anglais. A Rouen, l’Agence Régionale d’Hospitalisation (aux ordres du Ministère de la santé) a exigé que la maternité d’un hopital public procède à 500 accouchements de moins chaque année. Ces 500 accouchements sont transférés au regroupement de deux cliniques privées rouennaises appartenant à la Générale de Santé. A terme, l’hopital n’aura plus que la portion congrue ; il ne prendra en charge que les malades n’ayant pas suffisamment de ressources pour se faire soigner dans le privé. Un privé qui aura, dans l’intervalle, pomper toute la substance qui faisait de l’hopital un service de qualité.
Il est temps que les masques tombent, que les citoyens se saisissent du débat sur la santé, leur santé. C’est le devoir d’une démocratie de garantir à tous ses membres un système de soins de qualité et non discriminatoire. Cela exige de décréter que ce droit relève du bien commun et que ce bien commun doit être à l’abri des appétits les plus voraces. Le défi n’est pas mince. A nous tous de le relever.


Yann Fiévet
Octobre 2003