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Le triomphe du populisme

MessagePublié: Lun 28 Avr 2008 15:28
par yann
Le triomphe du populisme

Le peuple semble content. La popularité de ses dirigeants est au zénith. Il est vrai que le spectacle donné sur la scène est attrayant et répond aux désirs du plus grand nombre. Les acteurs sont bons, notamment celui qui vole la vedette au premier rôle en titre. Le texte est habilement construit pour séduire la tripe du vulgum pecus et en même temps – là réside la prouesse - cacher la vérité profonde de l’action. De fait, l’essentiel de ce qu’il faudrait voir et analyser se passe dans les coulisses. Plus fort encore : certaines choses graves se déroulent au grand jour sans que grand monde y prête attention. C’est que depuis longtemps on a inculqué au public que ces choses ne devaient plus l’intéresser désormais. Seul compte la gesticulation des bateleurs médiatiques. Ils ne sont pas que populaires ; ils sont populistes. Pire, c’est la société dans son entier qui bascule doucement dans le populisme.
Populaire ou populiste, quelle différence ? Les faits d’aujourd’hui rendent la distinction de plus en plus malaisée. Elle est de taille pourtant. L’homme politique populaire a un projet pour le peuple et le peuple le sait. L’homme politique populiste à un projet pour lui-même et le peuple lui sert. Le second se servira, jusqu’à l’outrance, des passions ancrées au plus profond des individus quand le premier se méfiera sans cesse desdites passions. Le premier dira la complexité des choses avec simplicité lorsque le second cédera à la facilité avec brio et par calcul. Ainsi, pour démontrer que l’intégration des étrangers est toujours possible et somme toute assez facile il se prendra comme modèle, lui dont les parents sont hongrois. Il n’omettra qu’un détail : il descend de l’aristocratie hongroise.
Pour que cela fonctionne, encore faut-il que l’homme politique populiste ne soit aux yeux du peuple que populaire. Comment cacher la ficelle que tient le marionnettiste ? Le meilleur allié du populisme est le temps. Le populisme ne surgit jamais brutalement. Son lit est préparé de longue date. Patiemment on habitue les esprits à une rhétorique nouvelle, au changement de sens de certains mots, à faire venir sur le devant de la scène des problèmes qui devraient rester seconds. Beaucoup d’eau coule sous les ponts avant que l’entreprise privée supplante le service public dans les têtes. Il faut des années pour que l’ensemble d’une population ne pense qu’aux banlieues, aux jeunes délinquants quand on emploie le mot insécurité. Quand on s’y est bien pris, le chômage et les licenciements ne seront jamais considérés pour de l’insécurité. La réduction progressive de la protection sociale non plus. Quand on s’y est très bien pris, on constate que le plus grand nombre ne se préoccupe plus que de son quotidien, de ses préoccupations immédiates. L’individualisme, idée chère à la démocratie, laisse la place à l’égoïsme, penchant favori de la médiocratie.
Ce long et patient travail de transformation des esprits n’aurait sans doute pas réussi sans la collaboration fidèle des médias de masse. Et du premier d’entre eux, la télévision. On a brouillé toutes les cartes. Le mélange des genres est à l’honneur. La nécessaire séparation entre vie privée et vie publique a volé en éclats. Les hommes politiques en sont les premiers responsables. Quand le magazine d’informations qu’une chaîne du service public diffuse tous les jeudis soir, consacre entièrement un reportage à l’épouse du ministre de l’Intérieur, on mesure la distance qu’il a fallu parcourir pour abaisser autant la politique et persuader l’opinion que la politique c’est aussi cela. « Finalement, ils sont comme vous », proclament les journalistes aux ordres. « Oui, nous sommes comme vous », insistent les politiciens manipulateurs.
Le sommet de la déliquescence a été atteint la semaine dernière quand le maire d’une grande ville de l’est de la France a accueilli en grandes pompes l’un des vainqueurs de l’émission « Star académie », heureux habitant de cette ville. Après que la médaille de la ville lui eût été remise, il fut exhibé, du haut du balcon de la mairie, à la foule hurlante rassemblée sur ce qu’autrefois on eut nommé agora. Voilà où est tombée la démocratie ! Il n’est pas sûr qu’elle s’en relève. Voilà ce que l’on attend du citoyen ! Il n’est pas certain qu’il puisse encore réagir. Voilà ce que deviennent les gouvernants ! Ce n’est pas seulement l’homme politique populaire qui disparaît. C’est l’homme politique tout court, et du même coup la politique.

Yann Fiévet
Décembre 2002