La barbarie dure

Modérateur: yann

La barbarie dure

Messagepar yann sur Lun 28 Avr 2008 15:36

La barbarie dure


Le prochain siècle débutera sans que l’une des principales barbaries du précédent ne soit rangée au placard des archaïsmes définitifs. La « première » démocratie du monde continue allègrement à pratiquer la mise à mort institutionnelle de personnes condamnées par des cours de justice dont la qualité du jugement est de plus en plus discutable et critiquée. Comment se justifie le maintien de la peine suprême – que l’Europe a définitivement abandonnée – quand tout le monde sait que son efficacité sur la baisse de la criminalité est nulle ? Les réponses sont ailleurs…

Texas Profond

«  La barbarie douce  » (1) dévoilée si magistralement par Jean-Pierre Le Goff et qui recouvre petit à petit l’espace social des démocraties n’a pas totalement fait reculer la barbarie dure. Les Etats-Unis et leur attachement à la peine de mort en sont l’une des preuves régulièrement administrées. La réalité des faits commande que l’on précise que cet attachement n’est pas uniforme. Certains États de l’Union ont aboli la peine de mort, d’autres l’ont rétablie après l’avoir supprimée, d’autres encore, tel le Texas ne l’ont jamais remise en cause.
Le Texas est devenu au fil des ans le symbole fièrement brandi des partisans indéfectibles de la peine capitale. Depuis que George W. Bush – George Bush junior – est gouverneur du Texas, 135 exécutions ont été perpétrées. Pas de chômage chez les bourreaux texans ! Le dernier supplicié en date est Gary Graham. Condamné à mort pour un meurtre qu’il a toujours nié, il a attendu 19 longues années dans les trop fameux couloirs de la mort. 19 ans au cours desquels ses avocats ont épuisé tous les recours possibles. Il lui restait un ultime espoir : la grâce du gouverneur. Celui-ci, fidèle à son inflexible habitude ne l’accorda pas. Gary Graham reçut l’injection mortelle le 23 juin 2000. Sa dernière pensée fut pour le pasteur Martin Luther King. On aura deviné qu’il était noir. Comme la majorité des condamnés aux Etats-Unis.
D’autres, nombreux, attendent leur tour dans les prisons de cet État de l’Amérique la plus profonde. Le Texas n’a que faire des campagnes menées par les abolitionnistes (soutenues, entre autres, par le Washington Post) : son gouverneur lui aussi est en campagne… pour les prochaines élections présidentielles.
Se rendant compte après coup que plusieurs condamnés mis à mort étaient tout bonnement innocents des crimes qu’on leur reprochait, un autre gouverneur, celui de l’Illinois (Chicago), pourtant partisan de la peine capitale mais pour une procédure plus clean, a prononcé un moratoire. Jusqu’à nouvel ordre, l’Illinois n’assassinera plus institutionnellement ni coupables ni innocents.
George Bush junior n’a pas les mêmes états d’âme. Pourtant, chez lui aussi on émet de sérieux doutes sur la culpabilité de certains condamnés. Osons un trait de cynisme : la peine de mort a ceci d’avantageux que si on s’aperçoit de l’erreur, il est devenu inutile de refaire le procès, l’accusé étant mort !

Démocratie archaïque ou

archaïsme démocratique ?


La question de la peine de mort aux Etats-Unis révèle deux problèmes. Le premier n’est pas propre à ce pays. Il consiste à l’existence même de cette peine dans un pays qui voudrait incarner la modernité et à une époque où la preuve est faite que l’énoncé et l’exécution de cette sentence ne soit en aucune façon dissuasive. Le Texas, où l’on exécute le plus, n’est pas – loin s’en faut – l’État le moins criminalisé.
En fait, il y a longtemps que des individus doués de raison savent que l’argument de la dissuasion est spécieux. Victor Hugo, au milieu du siècle dernier, avait fustigé les parlementaires français qui tenaient au maintien de la peine de mort. Ils les encourageaient, puisqu’ils étaient convaincus de l’exemplarité, à rétablir, en place publique, les châtiments mortels ancestraux tels que l’estrapade ou l’essorillement. Ils ne le firent pas évidemment !
Le second problème est celui de l’extrême médiocrité du fonctionnement de la justice aux Etats-Unis. Admettons un instant que l’on puisse être pour la peine de mort. Alors ne convient-il pas de s’assurer que les condamnés à mort sont réellement coupables ? Or, une étude universitaire sérieuse vient de révéler que depuis 1971, 68% des condamnations à mort aux Etats-Unis ont été cassées en appel. Plus de deux sur trois ! Comment une démocratie peut-elle tolérer un tel chiffre ? Qu’attend-on pour réformer certaines des cours de justice où l’on distribue les peines de mort comme des poignées de main. ?
Comment peut-on également accepter, au regard des droits de l’homme les plus élémentaires, que des hommes précisément attendent la mort pendant vingt ans, qu’ils soient plusieurs fois préparé pour l’exécution avant d’être reconduit dans leur cellule. On aime ajouter le supplice au supplice !
Et puis que doit-on penser d’un candidat aux élections présidentielles qui utilise de façon si ostentatoire la peine de mort comme moyen essentiel dans sa marche vers la Maison Blanche. Il espère que la majorité de l’Amérique blanche, bien- pensante et puritaine sera derrière lui. N’a-t-on pas affaire là à une manière particulièrement répugnante de faire de la politique ? Il semble que beaucoup d’Américains soient incapables de se poser ce genre de questions. Fort heureusement les Etats-Unis sont divers et les abolitionnistes se font de plus en plus entendre. Où est pour l’heure le Robert Badinter américain ?
L’abolition , toujours progrès dans la civilisation, est aussi le moyen par lequel on mettrait fin au pitoyable spectacle que constitue la demande de grâce surtout quand elle est adressée à des hommes incapables de discernement ou trop enclins au calcul politicien. «  Faites de bonnes lois, vous n’aurez pas besoin de droit de grâce. Le droit de grâce déclare perpétuellement que la loi est mauvaise  »(2)

Yann Fiévet
Juin 2000

(1) Jean-Pierre Le Goff, La barbarie douce, La Découverte, 1999.
(2) Victor Hugo, choses vues. On lira des pages somptueuses contre la peine de mort et pour l’humanité du système carcéral dans Victor Hugo, Écrits sur la peine de mort, Actes Sud, 1979.
yann
 
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