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La consommation responsable :

MessagePublié: Jeu 1 Mai 2008 11:40
par yann
La consommation responsable :
une nécessité


Un fait s’impose aujourd’hui de façon incontestable dans les sociétés des pays développés : un nombre croissant de consommateurs modifie plus ou moins largement sa pratique quant à la manière de satisfaire les multiples besoins humains. Cette modification des comportements de consommation est la résultante d’une prise de conscience s’exprimant de diverses manières en raison de sa propre diversité. Certains, sensibilisés par quelque scandale alimentaire, deviennent attentifs à la nature exacte des produits qu’ils achètent et consomment. D’autres, sérieusement importunés par l’ampleur démesurée du discours publicitaire, tentent d’en prendre le contre-pied quand ils ne luttent pas radicalement contre son emprise. D’autres encore, soucieux de préserver dans l’acte de consommer la relation aux autres, mettent en œuvre des processus d’achat destinés à entamer le règne exorbitant de la Grande Distribution qu’ils jugent déshumanisant. D’autres enfin, conscients que la planète est gravement menacée par l’effet des activités économiques sur les écosystèmes, veillent à lutter à leur échelle individuelle contre l’exploitation excessive des ressources naturelles et les rejets de produits nocifs pour l’environnement.
Cependant, ces quelques exemples, parmi d’autres, ne forment pas un tout homogène permettant d’affirmer que nos sociétés sont entrées dans l’ère de « la consommation responsable » pourtant si nécessaire au progrès de l’inscription de l’Homme dans son espace de vie. Il manque, pour le moment, la réalisation d’une liaison plus étroite entre les diverses motivations qui animent les « éco-consommateurs ». Seule cette liaison sera à même de donner au concept de consommation responsable toute la consistance dont il a besoin pour étendre sa pertinence au plus grand nombre. Sinon, il est probable que les critiques relatives au caractère quelque peu élitiste des comportements des « nouveaux consommateurs » continueront de fleurir. Quoi qu’il en soit, le comportement de consommation étant avant tout affaire de mentalité et de valeurs, le développement de la consommation responsable va prendre du temps. Pourtant, face aux périls désormais plus sérieusement mesurés, le temps est compté.
Il convient sans doute d’amplifier l’œuvre pédagogique par laquelle on favorise l’accélération du processus d’acquisition mentale des idées nouvelles. Les pouvoirs publics peuvent y aider à condition d’accepter une définition objective des menaces présentes et à venir. En attendant cet aggiornamento politique global et impérieux, il est déjà possible d’engager la réflexion à des niveaux a priori plus locaux. Et si ça commençait à l’École ?

De multiples méfaits

Les modes de production, de distribution et de consommation selon lesquels respectivement nous travaillons et vivons ont une longue histoire. L’avènement de l’ère industrielle combiné à l’explosion des sciences et des techniques a fait naître l’espoir que les êtres humains, un jour prochain, ne manqueraient plus de rien nulle part sur une planète si prometteuse. Qui osait alors contester cette heureuse prédiction était considéré comme adversaire du progrès de la condition humaine. Ainsi, tout ce qui allait dans le sens d’une production et d’une consommation en hausse était abondamment loué et les conséquences néfastes pour les ressources de la planète ou les conditions de vie sur celle-ci superbement ignorées tant elles sont longtemps apparues négligeables au regard de l’ambitieux projet. L’importance attribuée aujourd’hui au taux de croissance du produit intérieur brut des nations – véritable fétiche de notre civilisation – est le fruit de cette histoire. À l’heure où la pauvreté touche chaque jour davantage d’êtres humains – y compris dans les pays riches – et où l’action de l’Homme ne peut plus être comprise comme indifférente au devenir de la planète, peut-on refuser d’engager une profonde réflexion sur l’essor des activités productives et la satisfaction des besoins humains ? Un double constat s’impose alors. La logique de fonctionnement de l’économie basée sur l’extension permanente du marché favorise l’inégale répartition des richesses entre les personnes et les nations. Elle est en même temps responsable de la dégradation croissante de l’environnement naturel au point de rendre celui-ci hostile aux conditions d’une vie humaine équilibrée.
Il ne fait plus de doute que l’être humain est responsable des dérèglements climatiques récents et que ceux qui restent à venir seront, si rien de tangible n’est entrepris dès maintenant, beaucoup plus inquiétants encore. Rapidement, certaines ressources naturelles, à commencer par le pétrole, vont manquer pour poursuivre l’alimentation d’une machine trop gourmande. La ressource en eau, probablement le bien commun le plus précieux, est très loin d’être utilisée de façon rationnelle, c’est-à-dire en en limitant l’usage aux motifs les plus indispensables. Le développement des méthodes agricoles intensives appauvrit partout les sols, compromettant ainsi la capacité de nourrir les humains demain. Encore convient-il de préciser que l’ensemble de ces problèmes frappera – quand il ne les frappe déjà – plus gravement les pauvres vulnérabilisés par un état de dénuement les empêchant de s’en prémunir.
Au-delà de la question du manque d’efficacité, actuelle et future, d’un système à bout de souffle, c’est aussi – et peut-être avant tout – en termes moraux que les enjeux doivent être considérés. N’avons-nous pas le devoir de léguer aux futures générations une planète viable ? Pour ce qui est du déséquilibre actuel des richesses, est-il moral, est-il acceptable que tant d’hommes, de femmes et d’enfants manquent si cruellement de l’essentiel en matière alimentaire ou sanitaire ? Il serait éminemment coupable de ne pas se poser ces questions. Néanmoins, se les poser n’est qu’un commencement. C’est du début de leur résolution dont il faut désormais s’inquiéter.
S’en inquiéter, c’est d’abord dénombrer les domaines de la production, de la distribution et de la consommation où se manifestent, à l’évidence, des pratiques indignes de notre responsabilité vis-à-vis de notre environnement et de nos congénères. Par exemple, n’a-t-on jamais mesuré le coût réel du gigantisme de la Grande Distribution ? Ce système de commercialisation, extrêmement énergétivore et grand producteur de déchets, qu’il se garde bien de recycler lui-même, exerce une pression insupportable à la baisse des prix consentis aux producteurs et des salaires de ses employés, favorisant ainsi le développement du précariat. Une autre dénonciation consisterait à pointer du doigt l’accroissement régulier du transport routier de marchandises au mépris de la solution du ferroutage non polluant et moins dangereux, tout comme l’explosion générale des transports, à laquelle des conditions de travail déplorables participent grandement par les prix bas qu’elle permettent. Un troisième exemple, parmi tant d’autres tout aussi flagrants, s’occuperait de mettre en exergue le productivisme agricole dans lequel les exploitations sont toujours plus dépendantes d’approvisionnements externes coûteux en transport et en énergie, quand des solutions privilégiant l’autonomie du producteur ont fait leur preuve.
Ces trois exemples ont quelque chose en commun : ils expriment la nature d’une économie sans cesse plus intégrée, où la recherche des coûts décroissants n’a de sens qu’en externalisant – voire en ignorant – les coûts humains, sociaux et environnementaux tant immédiats que de long terme. Ainsi, l’entreprise reporte sur d’autres, ménages, pouvoirs publics, générations futures, une part importante du coût réel de ses stratégies de développement. C’est à la condition de ce report que le système productif peut apparaître comme profitable. Evidemment, à l’échelle de la société dans son entier et à l’aune du temps long il ne l’est plus.
Donc, le capital doit tourner. Les spécialistes nomment pudiquement cela le retour sur investissement. Une fois que l’on a tant produit il faut vendre. La frénésie consumériste suscitée par le discours publicitaire massif et incommodant a-t-elle un autre mobile que celui de faire tourner une machine à produire dont les freins auraient été neutralisés ? Avons-nous vraiment besoin de renouveler si fréquemment nos biens durables devenus pour le coup de moins en moins durables ? Sommes-nous certains de ne jamais céder à la tentation de l’achat d’objets inutiles ou non essentiels, en particulier quand il s’agit d’accumuler toujours plus d’objets et de s’adonner aux achats compulsifs ? Bref, sommes-nous réellement maîtres de nos choix de consommation ?
Le débat n’est donc pas seulement une affaire de préservation impérative de notre environnement ou une affaire de lutte contre de criantes inégalités. Il a, de surcroît, une dimension anthropologique. Au temps du règne de la marchandise, quelle représentation de l’Homme forgent nos sociétés dites développées dont nous rêvons d’exporter le modèle ? Réduire l’humain à son rôle de consommateur impulsif par l’amoindrissement de ses autres facultés ne saurait constituer un idéal. Il est donc temps que le citoyen se réapproprie sa consommation pour jouir pleinement de toutes ses autres qualités. Les marchands y perdront un peu ; l’Homme y gagnera beaucoup en dignité.

L’heure de la reconquête

Si l’être humain ne peut peser directement par ses actes de consommation sur la décision en matière de politique environnementale ou fiscale, il dispose en revanche avec son pouvoir d’achat d’un réel pouvoir d’action. Coluche ne se plaisait-il pas à dire qu’il suffirait « que nous cessions d’acheter pour que ça ne se vende pas » ? En même temps que l’on affirme la nécessité de l’intervention des pouvoirs publics, sans laquelle rien de réellement décisif ne se produira à long terme et à grande échelle, il faut se persuader que les consommateurs disposent de moyens pour bâtir des alternatives à certains principes conventionnels d’organisation de l’économie. Ce faisant, ils peuvent espérer favoriser l’infléchissement – et pourquoi pas un début de remise en cause – de la pensée politique dominante où l’existence de quelques alternatives n’est consentie qu‘afin de ne surtout jamais s’attaquer à l’essentiel. Ils peuvent d’ailleurs aussi interpeller les pouvoirs publics sur les choix et décisions prises dans ces domaines au nom des citoyens.
Au début est l’information. L’énoncé d’une évidence est parfois utile : un consommateur informé en vaut deux. Personne ne peut empêcher le consommateur de s’informer ; il aurait donc grand tort de ne pas se servir de ce droit incontestable. Néanmoins, s’informer est difficile. Il est donc du devoir des consommateurs et des organisations dont ils se dotent de participer à la construction de l’information la plus objective possible et de peser sur les émetteurs d’informations quand celles-ci font défaut. On peut rappeler ici la récente décision de faire inscrire la composition en OGM des produits alimentaires. Certes, beaucoup reste à faire pour que le consommateur puisse orienter son choix par une information claire, mais un nombre croissant de personnes font montre d’une vigilance accrue. Une telle exigence peut, dans certains cas, amoindrir l’influence de la publicité dont la force tient au fait qu’elle nous parle de tout autre chose que des caractéristiques intrinsèques du produit.
Parmi les informations disponibles, celles qui concernent les alternatives à la production ou à la distribution sont des plus précieuses pour le consommateur désireux de se démarquer des processus dominants. L’une de ces alternatives consiste à substituer des circuits courts à la chaîne des intermédiaires du commerce classique le plus répandu. Par définition, le plus court des circuits courts est la relation directe entre le producteur et le consommateur. Dans le domaine de l’approvisionnement en produits agricoles (fruits, légumes, viandes diverses, produits laitiers, etc.), le nombre de telles expériences ne cesse de croître d’année en année. Citons à titre d’exemple le cas des AMAP (Association pour le maintien d’une agriculture paysanne) dans lesquelles le producteur est assuré par avance d’écouler sa production à un prix décent et le consommateur précisément informé sur les méthodes de culture ou d’élevage employées ainsi que sur la qualité des produits. Des groupes plus informels que les AMAP rassemblent chacun quelques dizaines de familles ayant établi la même relation directe avec des producteurs. Dans tous les cas, il s’agit d’établir un compromis entre le prix auquel la grande distribution achète au producteur et le prix auquel celle-ci vend au consommateur de manière à ce que producteur et consommateur soient gagnants. Ces nombreuses expériences recréent incontestablement du lien social. Les visites de fermes « bio » et les exposés des paysans sur leur conception d’une agriculture durable et solidaire se multiplient comme autant d’envies de se réapproprier des espaces perdus.
Ce qui caractérise l’économie marchande c’est, avant tout autre considération, sa faculté à nous proposer des solutions onéreuses en remplacement de ce que nous pouvons faire nous-mêmes gratuitement ou moins chèrement. Là encore, la réappropriation est possible par la réhabilitation du « faire soi-même » dans les domaines, par exemple, du jardinage ou de la cuisine. Le « faire soi-même ensemble » renaît lui aussi, relativisant du même coup le diagnostic porté sur une société de consommation poussant à toujours plus d’individualisme. Ainsi, a-t-on assisté plus d’une fois ces dernières années à la remise en marche de fours à pain villageois. De façon plus formelle, les SEL (Systèmes d’échanges locaux) sont une autre manière de maintenir du lien social en refusant d’établir un rapport marchand entre des personnes qui s’échangent leurs compétences mutuelles dans des domaines aussi variés que la musique, le jardinage, l’écriture ou la cuisine. Avec toutes ces pratiques guidées par l’autonomie et/ou la solidarité, on évite de confondre l’économie de services avec l’économie de serviteurs.
La concrétisation du double désir d’être mieux informé et de devenir maître de sa consommation contribue à donner à chacun un regard plus critique sur ses pratiques quotidiennes et sur la façon d’inscrire la satisfaction de ses divers besoins dans la durée. Ainsi, il est plus facile d’établir des priorités, de faire le tri entre l’indispensable et le non essentiel pour ne pas parler du superflu. Certes, tout n’est pas objectif dans ce qui détermine nos choix de consommation et il ne saurait exister, de ce fait même, un modèle unique de comportement du consommateur. Néanmoins, il est possible de s’interroger sur les ressorts publicitaires qui nous incitent, culpabilisation oblige, à adopter un comportement moutonnier pour soi-même ou pour céder à la pression de nos enfants, cible privilégiée des marchands. Est-on si sûr de devenir ringard en continuant d’ignorer le téléphone Tartampion dernier modèle ? Sera-t-on vraiment tenu à l’écart du bonheur en ne se douchant pas en compagnie du savon Malpolive ? L’exercice du sens critique doit porter évidemment aussi sur les effets induits par notre consommation sur l’environnement. Nos gestes journaliers ne sont pas neutres. La lutte contre le gaspillage des ressources comme l’eau ou l’énergie finit rapidement par devenir un réflexe. Le renoncement à l’emploi de produits d’entretien contenant des substances chimiques nocives ne peut qu’améliorer notre cadre de vie immédiat et l’environnement général pour peu que l’ensemble des consommateurs adopte cette posture écologique. La même remarque s’impose quant au renoncement à l’utilisation des pesticides dans nos jardins. Privilégions toujours les produits alternatifs puisqu’ils existent.

Petit à petit, notre responsabilité de consommateur prend ainsi tout son sens. Par la consommation, l’individu adopte un comportement citoyen fait d’attention à l’autre et à l’environnement de tous, mais aussi à lui-même et à la nature. Ici, il paraît donc indifférent de parler de consommation responsable, de consommation citoyenne ou de consommation durable. L’important est de faire progresser l’idée selon laquelle l’être humain ne peut rester étranger au monde qui l’entoure. Être présent au monde, c’est précisément agir, chacun dans son espace et avec les moyens qu’il se donne, pour améliorer ce monde. Un vaste chantier est entamé. Comme nous n’avons plus le choix, il doit être poursuivi à grands pas. Mais, tout bien considéré, ne sommes-nous pas tout simplement impatients de parvenir à ce « monde meilleur » à inventer et construire ensemble ?

Yann Fiévet
Professeur de Sciences
Economiques et Sociales


Introduction du kit pédagogique réalisé en 2005 par Action Consommation pour les professeurs de. lycée