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Les cocus du Grenelle

MessagePublié: Jeu 1 Mai 2008 11:41
par yann
La Décroissance – Mai 2008

Les cocus du Grenelle

Ils sont chaque jour plus nombreux les cocus du Grenelle. Quel Grenelle . Celui de l’environnement, bien sûr ! On leur avait promis la lune pour sauver la Terre. Certains y ont cru, d’autres ont fait semblant d’y croire , notamment face aux médias si friands d’annonces tonitruantes vite dégonflées telles des baudruches. Tous font désormais grise mine une fois passé le tumulte convenu des Municipales . Comme il fallait s’y attendre en ces temps prolongés d’absence caractérisée de volonté politique le Grenelle est en panne sèche. Les sceptiques de la première heure, qui s’exprimèrent notamment au Contre-Grenelle de Lyon le 6 octobre dernier avaient presque été affublés du qualificatif de traîtres à l’écologie. Evidemment, on n’ose pas encore leur donner pleinement raison. Où est la traîtrise ? Dans la complicité devenue honteuse ou dans la radicalité préventive ? A traître, traître et demi !
Les résultats du Grenelle de l’environnement sont tellement maigres qu’il faut se violenter le ciboulot pour y voir encore un dispositif pouvant entamer en quoi que ce soit les logiques profondes de la dégradation avancée des écosystèmes. Passons en revue le catalogues des accessoires : écopastille, bonus-malus pour les achats de voitures neuves, doublement (+ 2000 km) des lignes à grande vitesse d’ici à… 2020, développement de plans climat-énergie territoriaux, étiquetage CO2 des produits de la grande distribution d’ici … 2020, passage à la réglementation THPE en 2010, taxes sur le suremballage… Les annonces en ont été pléthoriques. 33 chantiers ont été lancés depuis octobre dernier (agriculture, air, bâtiment, bruit, déchets, eau, énergie et climat, gouvernance, mer et nature, nucléaire, politiques publiques, recherche, santé, sols pollués, transport, urbanisme). Des comités opérationnels, des missions interministérielles, des groupe de travail divers ont été chargés de traduire les engagements pris lors du Grenelle en mesures concrètes. Tout le spectre environnemental a été balayé par cet arsenal institutionnel à grands renforts de communiqué de presse enthousiaste.
Cependant, il se dit de plus en plus fort, et cela au sein même du Ministère de l’écologie, de l’aménagement et du développement durable (MEDAD), que ce tohu-bohu médiatico-gouvernemental était destiné dès son origine à dissimuler une entreprise de démolition dudit ministère. Créé en Juin 2007, le MEDAD est curieusement toujours sans lettre de mission et sans stratégie. C’est un ministère technique aux fonctions jugées concurrentielles en haut lieu. Il est par conséquent vulnérable dans un contexte de guerre ministérielle et de volonté gouvernementale de réduire les effectifs sans se préoccuper des conséquences pour les missions de service public. La mise en œuvre de la RGPP (Révision Générale des Politiques Publiques) conduirait à la suppression de nombreuses missions des services déconcentrés de l’Etat (DDEA, DRIRE, DIREN, DREDAD). De plus, certaines missions publiques pourraient être externalisées vers le privé. Plus inquiétant encore l’aménagement et le développement du territoire pourraient être mis sous la coupe de l’Equipement. On cherchera longtemps Quelle cohérence renferme cette volonté de supprimer les implantations régionales et la compétence technique des services publics, alors que la mise en oeuvre des grandes politiques et des décisions du Grenelle repose sur l'action de ces services et que l'Etat prétend toujours évaluer toutes ses politiques à l'étalon du développement durable.
Les syndicats estiment qu’à terme ce sont près de 60 000 postes qui pourraient être supprimés sur 75 000 aujourd’hui au MEDAD. Un plan social sans précédent. Le Gouvernement espèrerait des économies budgétaires de l’ordre de 150 milliards grâce à cette « politique de modernisation ». Les préfets et le ministère de l’Intérieur verraient leurs compétences et leurs champs d’action renforcés. L’intérieur pourrait ainsi récupérer l’aménagement et le développement et remettre la main sur le programme pôle de compétitivité. Le silence des ONG, si bavardes pendant la campagne du Grenelle, est assourdissant sur ce sujet pourtant crucial. Leur manquerait-il ce petit quelque chose que l’on nomme la dimension politique ?
Ainsi, le risque est grand que l’acte politique majeur que constitua la création du MEDAD soit vidé de son sens, à l’occasion d’une bataille entre le corps des préfets et celui des ingénieurs (mines, ponts et génie rural) contrôlant à terme des services régionaux et départementaux limités. Comment espère-t-on faire du développement durable sans aménagement et sans développement industriel ? A l’aune de ces stratégies mortifères l’appel lancé le 26 mars dernier par les représentants des quatre collèges ayant siégé au Grenelle et qui réclame que les 268 mesures adoptées en octobre soit rapidement discutées au Parlement paraît dérisoire. Comme il est dur de s’avouer que l’on a été cocufié ! Et que l’on aurait du s’y attendre !

Yann Fiévet