Une alternative à l'irradiation des aliments

Modérateur: yann

Une alternative à l'irradiation des aliments

Messagepar yann sur Mer 21 Mai 2008 19:32

Les Systèmes d’approvisionnement de proximité :
une alternative économique et sociale d'avenir

Yann Fiévet

La raison première de l’irradiation des aliments est la « stabilité » du produit pour faciliter son stockage et permettre son transport sur longue distance dans une logique d’uniformisation du marché mondial orchestrée par les firmes transnationales. Face au coût environnemental et social grandissant de cette logique marchande, la nécessité de relocaliser l’économie est devenue aujourd’hui une préoccupation de divers acteurs de la « question alimentaire » et un thème d’étude pour un nombre croissant de chercheurs en sciences sociales. Le rapprochement entre producteurs et consommateurs que constituent les systèmes d’approvisionnement de proximité est appelé à se renforcer à l’avenir. Ces systèmes, de plus en plus nombreux, sont tout à la fois porteurs de critique à l’égard des modèles dominants (agriculture industrielle, Grande Distribution) et de changement potentiel des modes de production et de consommation alimentaires.
Il nous faut tout d’abord esquisser les contours de ses systèmes alimentaires atypiques posés comme alternatives au modèle dominant imposé par le consommationnisme . Ensuite, nous présenterons trois expériences entrant dans le champ de cette nouvelle problématique de réappropriation de l’économie par ses acteurs. Enfin, nous étudierons la portée significative de ces changements de comportements individuels et collectifs ainsi que les limites à dépasser pour assurer le développement de ces pratiques nouvelles.

Des systèmes multi-formes

Ce que l’on nomme ici « Systèmes d’approvisionnement de proximité » recouvre des réalités très variées. Il s’agit toujours d’expériences se démarquant volontairement des modèles dominants de production et d’approvisionnement de denrées alimentaires. Il s’agit également pour leurs acteurs de maîtriser mieux l’implication de leurs comportements sur l’environnement en particulier par le rapprochement, géographique ou humain , entre producteurs et consommateurs. Le premier type d’organisation auquel on pense probablement est l’Amap (Association pour le maintien d’une agriculture paysanne) dont le millième « exemplaire » est apparu récemment en France . Quelques dizaines de familles créent une association passant avec un producteur (légumes, fruits, viande plus rarement) un contrat par lequel elle s’engage à acheter, sous forme de paniers livrés régulièrement, la production des six prochains mois. L’engouement pour le principe de l’Amap désormais bien connu et destiné à se développer encore ne doit pas dissimuler la diversité d’autres types d’organisation ayant une vocation souvent plus large. Nous illustrerons ci-dessous cette diversité en présentant trois systèmes d’approvisionnement de proximité très différents de par leur implantation géographique et le degré de formalisme qu’ils se sont choisi . Le premier se situe en zone urbaine moyenne et est une initiative individuelle. Le deuxième est implanté en zone hyper urbanisée et repose sur le bénévolat de ensemble de personnes engagées dans la « consommation responsable » . Le troisième se trouve en zone faiblement urbanisée et représente l’expérience la plus « institutionnalisée » des trois exemples proposés.

A Grenoble : un homme, un réseau

Pour contourner les difficultés de concilier des horaires de travail très variables avec ceux des livraison des AMAP et leurs délais d’attente d’inscription, Sylvain P. a créé à Grenoble le réseau Court-Circuit. Ce réseau de producteurs et de distributeurs permet, sur le principe des AMAP, de réduire les intermédiaires et les distances d’approvisionnement, apportant aux consommateurs souplesse des horaires et choix des produits grâce aux volontariat des distributeurs. Un premier réseau de produits alimentaires locaux de saison et de qualité, s’est appuyé sur une logistique alliant modernité et respect de l’environnement : les livraisons des producteurs chez des distributeurs indépendants sont rationalisées et les consommateurs sont informés directement par l’Internet du moment des livraisons. Ils s’approvisionnent ainsi en produits extra frais. Les produits sont labellisés et les adhérents « Court-Circuit » bénéficient de tarifs préférentiels. L’objectif de croisière du réseau « est la coopération d’une douzaine de producteurs avec quatre distributeurs et 100 adhérents. "Ici, même seule, une personne motivée peut arriver à mettre en place un réseau de distribution respectueux de l’environnement et des hommes », souligne l’inventeur de Court-circuit.
A terme, Sylvain P. imagine volontiers d’étendre son réseau aux services en aidant les porteurs de projets éco-responsables à les concrétiser, avant d’exporter le principe de Court-Circuit à d’autres agglomérations.

Réseau producteurs normands-consommateurs franciliens

En Ile-de-France, une douzaine de groupes de consommateurs, répartis sur six départements, ont constitué en trois ans un réseau d’approvisionnement en produits issus de l’agriculture biologique normande. De leur côté, les producteurs (une quinzaine) ont créé un GIE, le Groupement d’Intérêt Économique des Producteurs Fermiers de Basse-Normandie, afin d’organiser eux-mêmes la rotation des livraisons mensuelles et la gestion collective de ce système particulier d’écoulement de la production de denrées alimentaires. Un mois environ avant chaque livraison, un bon de commande des produits disponibles est adressé par l’Internet aux animateurs des douze groupes de familles. Chaque animateur renvoie par le même canal la commande de son groupe dix jours avant la date de livraison. La gamme des produits est très variée : poulets et œufs ; viandes de boeuf, de veau, d’agneau et de porc fermier ; paniers de légumes ; terrines et foie gras ; produits laitiers (camembert, fromages de chèvre, beurres, crème fraîche, lait) ; pommes, jus de pomme et cidre ; miel et pain d’épices, Les groupes sont livrés en deux jours par deux tournées différentes afin de répondre aux contraintes géographiques de la banlieue parisienne. La livraison s’effectue au domicile de l’animateur du groupe ou bien en un lieu plus neutre, toujours en présence de la plupart des personnes ayant commandé. La chaîne du froid est respectée : les producteurs transportent les marchandises dans des camions réfrigérés et les animateurs des groupes conservent au frais les produits de ceux qui ne peuvent être là le jour de la livraison. De la souplesse dans la rigueur, ce pourrait être la devise de fonctionnement de ce système à présent bien rôdé.

Appetit, une association bretonne structurante

En janvier 2005, dans les Côtes d’Armor, l’association APPETIT (Association pour la Promotion des Produits Equitables du Territoire dans l'Intérêt de Tous) est créée et se donne pour mission de développer la consommation de produits locaux de saison et de qualité, produits dans le respect de l’environnement. Cette création a été rendu possible grâce à la participation du Conseil Général (22) au projet européen RAFAEL (Renaissance of Atlantic Food Authenticity and Economic Links), ayant pour objectif de développer la consommation des produits « authentiques » de l’Espace Atlantique. Le projet concerne neuf territoires d’Espagne, du Portugal, de France et du Royaume-Uni. Le projet RAFAEL est financé par le fonds européen de développement régional (FEDER) et le Conseil Général des Côtes d’Armor. Ce programme étant à l’initiative de quatre structures partenaires préexistantes, APPETIT est une inter-association regroupant quatre entités :
- La Fédération Régionale du CIVAM Bretagne (Centres d'Initiatives pour Valoriser l'Agriculture et le Milieu rural) qui accompagne et soutient la mise en oeuvre de projets liés au développement de nouveaux circuits de distribution et cherche à renforcer l’emploi en milieu rural ;
- Le GAB d’Armor, groupement des agriculteurs biologique de Côtes d’Armor, qui a développé depuis 2003 une filière restauration collective dans le cadre du programme « Manger Bio en Bretagne » ;
- Le CEDAPA, qui a pour but de promouvoir les systèmes herbagers et de valoriser les produits qui en sont issus, notamment grâce à la marque « Terre et Ciel » ;
- Biopôle, plateforme de distribution de produits bio, qui organise un service d'échanges de produits entre des relais répartis sur le territoire breton.
L’association APPETIT a, de plus, pour but d’encourager la restauration biologique, en milieu scolaire (avec la Direction des collèges du Conseil Général), ainsi que de mettre en place des groupements de producteurs et de consommateurs favorisant le développement de la vente directe de produits alimentaires.

Enjeux et limites

La diversité des actions de relocalisation de l’économie par la création de Systèmes d’approvisionnement de proximité porte en elle des enjeux d’ordres divers. L’un des tous premiers enjeux est d’ordre sanitaire et s’exprime par la volonté d’une part croissante des consommateurs d’acquérir des denrées alimentaires produites dans le respect de pratiques dont la connaissance leur est accessible soit par une certification officielle soit par l’établissement moins formel d’un rapport de confiance avec les producteurs. La (re)prise d’autonomie des acteurs , tant des producteurs que des consommateurs, vis-à-vis des circuits longs de distribution insuffisamment transparents et chargés de coûts environnementaux jugés excessifs est un autre enjeu du développement des pratiques nouvelles d’approvisionnement alimentaire. Le troisième enjeu important en la matière est la (re)création du lien social que représente le rapprochement entre les producteurs et les consommateurs, grâce auquel les premiers apprécient de rencontrer ceux qui consomment leurs produits et les seconds de savoir qui produit ce qu’ils consomment.
Cependant, si les SALT se répandent, ils sont encore loin de pouvoir constituer une réelle alternative aux modèles dominants de l’agriculture conventionnelle productiviste et de la Grande Distribution. Certes, ces systèmes permettent à des paysans de continuer de vivre de leur travail et d’exercer celui-ci dans le respect de l’environnement et de la santé des hommes. Pourtant, le changement d’échelle vers une alternative décisive ne saurait reposer exclusivement sur des initiatives cantonnées aux marges des modèles dominants. La question est désormais politique. Le double constat du désastre que constituent l’empreinte écologique de l’agriculture productiviste et l’impact sanitaire de la dégradation de l’environnement oblige les pouvoirs publics – nationaux et européens - à mettre en œuvre des réformes drastiques. Il faut rapidement faciliter l’installation ou la reconversion de paysans dans l’agriculture biologique par une politique volontariste de transferts des aides de l’agriculture conventionnelle vers les producteurs respectueux de l’environnement. Les pouvoirs publics locaux ou régionaux doivent favoriser l’éclosion et le développement des Systèmes d’approvisionnement de proximité en accompagnant, par exemple, la création de coopératives de consommateurs attentives aux normes d’une « haute qualité environnementale » appliquée enfin aux modes de production et de consommation alimentaires. L’interdiction de l’irradiation des aliments en ferait partie. Mais, aurait-on encore besoin de cette technique d’abord imposée par une logique productive délocalisée et des habitudes de consommation devenues inadaptées au regard des enjeux écologiques et sanitaires d’aujourd’hui ?

Yann Fiévet est Professeur de Sciences Economiques Et Sociales, et Vice-président d’Action Consommation


Texte publié dans « Aliments irradiés : atome, mal-bouffe et mondialisation », ouvrage dirigé par Véronique Gallais, Golias, 2008.
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