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Nous refusons l’écologisme benêt d’Arthus-Bertrand

MessagePublié: Mar 26 Oct 2010 22:59
par yann
Nous refusons l’écologisme benêt d’Arthus-Bertrand

Par Paul Ariès, Aurélien Bernier, Yann Fiévet, Corinne Morel-Darleux (*)'
L’Humanité - 9 octobre 2010


« La lutte contre le productivisme et l’économie capitaliste, pour la répartition des richesses et la relocalisation n’ont pas la moindre place dans son
raisonnement. »
Quand l’écologie émergea dans le débat public au cours des années 1960 et 1970, elle fut d’emblée fortement politisée. L’économie productiviste, la répartition
des richesses, les rapports Nord/Sud, la lutte pour la démocratie, la dénonciation des multinationales faisaient partie intégrante du discours des principaux
mouvements. Aux Etats-Unis, le militantisme de Rachel Carson ou Barry Commoner eut des effets concrets sur la législation américaine, aboutissant à l’interdiction
de produits chimiques ou à la création de l’Agence pour la protection de l’environnement (EPA). Les Nations Unies ne purent éviter de lier la question
environnementale à la question sociale, et la notion d’écodéveloppement portait des revendications pour protéger la planète, mais également pour mieux
répartir les richesses et partager le travail.
Puis vint le tournant de la mondialisation. Le capitalisme se fit néolibéral en se réorganisant à l’échelle planétaire, afin de bénéficier des coûts de
production les plus faibles et de mettre en concurrence les salariés des économies industrialisées avec les salariés des pays émergents. Repris en main
par les gouvernements, le discours sur l’état de la planète changea profondément de nature. Les chocs pétroliers furent l’occasion de réclamer aux citoyens
des gestes responsables pour réduire leurs consommations, moins pour des raisons écologiques que pour limiter les déficits commerciaux. Le basculement
dans l’écologie individuelle était amorcé. Après l’énergie, ce fut le tri des déchets afin de permettre le recyclage, avec là aussi des motivations liées
au commerce extérieur. Puis, afin de lutter contre le changement climatique, le citoyen fut mis à contribution pour réduire ses gaz à effet de serre.
Le développement durable se substitua à l’écodéveloppement pour gommer toute revendication radicale et pour faire de chaque citoyen le responsable de la
dégradation de la planète. Dans cette construction idéologique, le pollueur n’est plus l’industriel qui met sur le marché de futurs déchets, mais l’acheteur
qui remplit sa poubelle. Ce n’est plus le fabricant d’un produit bon marché mais polluant, c’est le ménage à faible revenu qui ne prend pas la peine d’acheter
« vert ». Ce ne sont plus les multinationales responsables des délocalisations dans les pays où l’on peut polluer gratuitement, mais les salariés obligés
de prendre leur voiture pour aller chercher un travail de plus en plus rare et donc de plus en plus éloigné de leur lieu d’habitation.
Bien sûr, les comportements individuels doivent évoluer vers un plus grand respect de l’environnement. Il n’est pas question de le nier ni de sous-estimer
l’évolution positive des mentalités. Mais l’objectif du discours dominant sur l’écologie vise tout autre chose : un véritable transfert des responsabilités.
Yann Arthus-Bertrand est-il naïf lorsqu’il porte l’image d’une écologie totalement dépolitisée, fondée sur le « tous coupables » et qu’il prétend dépasser
les clivages gauche-droite avec les financements du groupe Pinault-Printemps-La Redoute ? Peut-être. En tout cas, la démarche est dangereuse. Sa dernière
initiative, « 10:10?, fait songer à l’école des fans : tout le monde fait un geste et tout le monde gagne, avec une pensée émue pour les générations futures.
La lutte contre le productivisme et l’économie capitaliste, pour la répartition des richesses et la relocalisation n’ont pas la moindre place dans son
raisonnement.
Pourtant, le bilan écologique du capitalisme néolibéral est sous nos yeux. Entre 1997 et aujourd’hui, les émissions mondiales de gaz à effet de serre ont
progressé d’environ 25 %. La principale raison n’est pas le développement du marché intérieur des pays émergents, mais bien l’augmentation continue du
commerce international, la surconsommation des pays riches et le renforcement des délocalisations. La dictature de la finance empêche quant à elle l’émergence
d’activités réellement durables, basées sur des raisonnements de long terme. Et, lorsqu’il s’agit de lutter contre le changement climatique, la communauté
internationale décide justement de confier aux fonds d’investissements un juteux marché des « droits à polluer », qui, de produits dérivés en manoeuvres
spéculatives, nous emmène doucement mais sûrement vers un prochain krach boursier.
Loin des discours de Daniel Cohn-Bendit ou de Yann Arthus-Bertrand, l’écologie politique ne trouvera un avenir que dans une rupture franche et concrète
avec le capitalisme néolibéral. Nous devons aborder les sujets qui fâchent. La répartition des richesses, avec par exemple un revenu maximum et une fiscalité
de justice sociale. Le commerce international et la relocalisation de l’activité industrielle et agricole, avec des taxes écologiques et sociales sur les
importations. L’asphyxie des marchés financiers, en commençant par la fermeture de la Bourse des droits à polluer. Autant de mesures qui vont à l’encontre
des règles de l’Union européenne, de l’Organisation mondiale du commerce et du Fonds monétaire international, qu’il faut impérativement dénoncer. Nous
laissons donc à Yann Arthus-Bertrand et ses financeurs du CAC 40 la grande cause des lumières éteintes et des robinets fermés. Notre objectif se situe
à l’opposé. Il s’agit de mettre de l’écologie dans la politique et, surtout, de mettre de la politique dans l’écologie.
Les auteurs : Paul Ariès est directeur du Sarkophage, théoricien de la décroissance, et auteur de La simplicité volontaire contre le mythe de l’abondance
(La Découverte); Aurélien Bernier est secrétaire national du M’PEP et auteur de Ne soyons pas des écologistes benêts (Mille-et-une-Nuits); Yann Fiévet
est président d’Action Consommation et auteur de Le monde en pente douce (Golias); Corinne Morel-Darleu est secrétaire nationale du Parti de Gauche et
conseillère régionale Rhône-Alpes, ainsi qu’auteure de L’écologie, un combat pour l’émancipation (Bruno Leprince).