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Jeunesse et banlieue : pour dépasser l'indignation

MessagePublié: Mar 13 Déc 2011 15:52
par yann
Indignés – Revue trimestrielle – Numéro 1 - Décembre 2011


Jeunesse et banlieue

Pour dépasser l’indignation


Par Yann Fiévet (*)


Il est des réputation qui vous collent à la peau, des clichés qui vous collent à l’esprit. Au rang des premières on compte le fait supposé que la jeunesse des banlieue est largement responsable de la dégradation sociale et matérielle de ces dernières. Au rang des seconds on trouve l’idée que la banlieue est un monde uniforme. A l’heure de la médiacratie triomphante ces balivernes tournent en boucle et finissent par imprégner les consciences les moins armées pour y résister, les plus vulnérables aux élucubrations anxiogènes portées par la stratégie de la peur tenant lieu de nouvelle « gouvernance » . Et tant pis si les analyses sociologiques et politiques dignes de foi réfutent totalement les approximations du discours convenu sur ces deux objets, la jeunesse et la banlieue, aux contours sans doute intentionnellement brouillés ou paresseusement ignorés. Nous avons affaire en l’occurrence à deux continents – se recouvrant en partie seulement - abandonnés comme la chronique ouverte ici le montrera. Abandonnés des politiques publiques pour l’essentiel, des partis politiques dominants, du regard de la quasi-totalité des intellectuels, des médias tenus le plus souvent par les marchands, de la société dans son ensemble. Certes, la jeunesse et la banlieue sont multiformes. Mais, toutes deux souffrent du même déficit d’attention. Les conséquences mortifères de cette défaillance du regard sont déjà là ; elles ne pourront que s’amplifier si un sursaut véritable ne se produit pas à un horizon proche.
C’est peu dire que le sentiment d’indignation est un sentiment trop tendre tout à la fois pour ceux qui vivent l’abandon de l’intérieur de ces continents restant à explorer et pour ceux qui font l’effort de les comprendre de l’extérieur. Tout bien pesé, et n’en déplaise aux bien-pensants, la jeunesse et la banlieue – et plus encore la jeunesse de la banlieue – sont étonnamment calmes malgré ce qu’elles subissent au quotidien. Les émeutes qu’elles produisent, même si elles sont de plus en plus nombreuses, ne semblent pas à la veille de déboucher sur une révolte, encore moins sur une Révolution, tant il leur manque l’indispensable ferment politique. Cependant, notre nouvelle revue ne pouvait pas laisser dans l’ombre les soubresauts qui secouent les deux objets sociologiques ici rassemblés. Il faut aller y dénicher les interprétations que trop d’observateurs professionnels ont renoncé à dévoiler. Et nous avons du pain sur la planche !
Le diptyque jeunesse/banlieue que nous nous proposons d’étudier, au fil des épisodes d’une chronique, a de multiples dimensions et doit être envisagé selon plusieurs perspectives. Analyser la place de la jeunesse et de la banlieue dans l’espace social français sous leurs dimensions «économiques, socioculturelles, éducatives, politiques ou anthropologiques du moment ne suffit pas.
La dérive de ces deux « continents » partiellement imbriqués doit être située d’abord dans une perspective historique. Ils ont en effet une Histoire, par définition déjà écrite, par essence encore à écrire. L’avant de cette Histoire longue permet de comprendre comment on en est arrivé là, à force d’erreurs des « décideurs » politiques, erreurs parfois dénoncées avant même leur commission. L’après de cette Histoire pose la question de l’incapacité des mêmes décideurs ou de leurs successeurs à offrir un espoir crédible de changement, dans un délai raisonnable, aux membres de ces deux entités au mieux désorientés, au pire désespérés.
Il convient ensuite de considérer les représentations de la jeunesse et de la banlieue sous trois angles au moins : celui des individus directement concernés car appartenant à ces « mondes étranges » dont on parle le plus souvent à leur place, celui du « reste de la société » perçu comme « la bonne part », celui des « gouvernants » censés inscrire le sort des populations considérées dans des perspectives réalistes à défaut d’être certaines. Le dernier point de vue pose immanquablement le fait de l’instrumentalisation desdites populations à des fins strictement politiciennes ou pour éviter de dévoiler d’inavouables desseins. Ainsi, c’est au nom du confort matériel futur de la jeunesse d’aujourd’hui que l’on brandit l’argument massue de la nécessité d’éponger rapidement la dette publique. Au passage, nous remarquons que l’on semble beaucoup moins soucieux d’assurer le confort écologique futur de notre jeunesse. C’est encore en distinguant « la racaille » des « vrais jeunes » que l’on justifie des lois toujours plus répressives et que l’on prépare un nouvel urbanisme des « quartiers difficiles » afin d’y faciliter l’intervention des « forces de l’ordre » quand la révolte menacera.
Et nous serons forcément ringards ! Nous oserons en effet, malgré les mises en garde des « sociologues de commandes » à l’esprit critique passablement atrophié par trop de mauvaises fréquentations, affirmer que l’effondrement social de la jeunesse et de la banlieue s’alimente aux sources désormais intarissables du néolibéralisme économique. La libéralisation acharnée des marchés, la précarisation croissante des emplois et des conditions du travail salarié, l’individualisation des relations sociales au service de la compétition de tous contre tous, , la dégradation programmée de la qualité des services publics – notamment d’éducation et de santé - avant leur privatisation annoncée, la dévalorisation systématique du travail par la survalorisation du capital sont autant de ferments nourrissants depuis trente ans le délabrement des structures sociales et la rupture du lien social dans notre pays. Dans un tel contexte de fracturation sociale les vrais possédants et ceux qui possèdent un petit quelque chose en appellent à plus de protection contre ceux qu’ils croient pouvoir désigner comme leurs ennemis de l’intérieur. Le besoin de sécurité, demande légitime et raisonnable de tout individu, est alors outrepassé et instrumentalisé dans des discours ou des pratiques venant renforcer la fracture sociale. Quand la sécurité n’est plus donnée de l’intérieur par le fonctionnement même du système économique on le cherche à l’extérieur dans des politiques sécuritaires. La société dans son entier bascule alors dans la « transition autoritaire », dernière étape avant le régime policier.
La société ayant horreur du vide les trous de plus en plus nombreux du tissu social sont comblés par les communautarismes en tous genres tandis que l’absence d’espérance en des lendemains meilleurs pour le quotidien des plus humbles exacerbe « la montée du religieux ». Nous proclamerons, au risque de la banalité, que l’avenir d’ine société se voulant démocratique réside d’abord dans sa jeunesse toute entière et ne saurait s’accompagner de l’abandon de territoires entiers aux mains des adversaires de la raison ou des règles illicites de l’économie souterraine. Le défi est immense. La Droite a renoncé depuis longtemps à le relever ; la Gauche sera-t-elle à la hauteur de cette responsabilité qui devrait s’imposer à elle naturellement ? Les années qui viennent seront décisives.


(*) Auteur du livre « Le monde en pente douce. Chroniques d’un siècle mal commençant », Editions Golias, 2009. Professeur de Sciences Economiques et Sociales au lycée Jean-Jacques Rousseau de Sarcelles (Val d’Oise).