Les beaux dimanches

Modérateur: yann

Les beaux dimanches

Messagepar yann sur Mer 11 Fév 2009 16:57

La promesse de l’ouverture générale des commerces le dimanche s’inscrit dans un contexte oppressant. Le consommateur renonce chaque jour davantage à l’autonomie de ses choix et comportements, à l’organisation de son temps. Un tel contexte devrait être analysé dans ses dimensions anthropologique et symbolique afin de replacer les arguments pratiques de l’affaire à leur juste place, celle des alibis commodes. On découvrirait alors que la question n’est finalement rien d’autre qu’une trivialité sur la route d’une communauté humaine incapable d’imagination croyant faire encore société par la convergence moutonnière vers les temples de la divine consommation.

Le consommationnisme poursuit son œuvre inlassable vers un horizon au sens social indéfinissable autrement que par le triomphe vulgaire de la marchandise. Les marchands ont compris depuis longtemps que leur réussite passe par la suscitation des désirs par essence illimités et non par la stricte réponse aux besoins par définition limités. La massification des techniques du marketing et des moyens de communication a puissamment servi ce dessein. Nageant dans un bain publicitaire permanent, le consommateur de la société de marché est bercé par le flot unificateur et individualisant de la consommation sans faim véritable mais infinie. La globalisation financière et son implacable loi d’airain du profit contre le salaire, le moteur de la croissance est partout alimenté par l’accélération de l’endettement. L’impasse que constitue la dérive de la vie à crédit est amplifiée par le raccourcissement du « cycle de vie du produit », par l’incorporation dans le prix de la marchandise d’une dose croissante de valeur symbolique, par la substitution de la consommation privatisée et individualisée à la consommation collective et aux services publics. Cette fuite en avant est mortifère car elle détruit tout à la fois le discernement de la valeur d’usage des choses et le lien social.

Comme l’aveu d’une telle trivialité ne serait pas de bon aloi il convient d’user de plus nobles arguments.. Ainsi, l’interdiction d’ouvrir le dimanche est présentée comme une atteinte intolérable à la liberté d’exercice d’une activité indispensable. Liberté du commerçant de commercer plus longtemps, liberté du consommateur de pouvoir répondre en permanence aux pulsions qui le pousse désormais quotidiennement vers l’acte d’accomplissement de soi par la dépense. Nous sommes fortement incités à croire que malgré la réduction régulière du temps de travail le consommateur n’a pas assez de latitude pour faire ses emplettes en semaine. Ne prête-t-on pas là au consommateur des réflexes issus d’analyses plus qu’approximatives des comportements de nos congénères ? N’a-t-il pas, contre l’attente des « faiseurs d’opinion mise en marché », une idée plus haute de sa liberté ?

Les « grandes surfaces » et autres galeries marchandes ont probablement une autre fonction. S’y rendre le dimanche, en famille, c’est en faire un lieu de promenade, un but en soi. Là, on n’achète pas, on déambule, on flâne…

Voici le terrible paradoxe : Ces lieux dont la destination première est commerciale sont détournés par une foule au pouvoir d’achat insuffisant pour honorer à sa juste valeur le service qui lui est pourtant si gracieusement offert. Des cités grises d’ennui, des quartiers laminés par le chômage et la précarité, combien sont-ils à venir chercher en ces lieux saturés de lumière et du vacarme des slogans publicitaires familiers de minuscules exutoires ? Oserons-nous demander si le politique ne se sert pas de cette fonction socioculturelle inattendue des centres commerciaux en lieu et place des ambitions auxquelles il a depuis longtemps renoncé ? L’apaisement social par le droit à contempler la rutilante vitrine. Le mauvais goût du marketing en remplacement de la culture que l’on n’apprend plus à ressentir. Au lieu de défendre l’extension de la liberté du commerce déjà si grande, la classe politique pourrait s’inquiéter du défaut cruel d’autres libertés. Le droit au travail, le droit à un revenu décent, le droit à une alimentation de qualité, le droit à un environnement sain, autant d’occasions manquées de parler de liberté. Décidément, l’ouverture du dimanche, sous tous ses aspects, n’est rien d’autre qu’un cache-misère !

Trois grands économistes aux doctrines fort distinctes, Adam Smith, Karl Marx et John Maynard Keynes, ont porté le même jugement, chacun à son époque, et à sa manière quant au périmètre qu’il convient de concéder aux contingences économiques. La portion la plus congrue qui soit grâce à l’amélioration du fonctionnement des systèmes productifs et d’échanges car ces choses-là sont de peu d’intérêt pour l’épanouissement humain. Les hommes ont tellement d’autres penchants à cultiver tels l’amour, l’amitié, l’art, l’enrichissement intellectuel ou le dialogue singulier avec soi-même. Sur le chemin de la réappropriation de l’espace et du temps par chacun et pour tous, gage de renouveau du « faire ensemble » et du « faire soi-même » contre le prêt-à-consommer d’une société hyper sécuritaire, pourquoi ne pas commencer par la récupération du dimanche ?

Certes, décréter le dimanche jour de « non économie marchande » n’est qu’un mince caprice face à la nécessité d’entrer dans l’ère de la consommation mesurée et conviviale. Les « résistants du dimanche » sont pourtant déjà nombreux. Tous ceux qui fuient la Grandedistrib’, qui fondent des Amap, des Systèmes d’échanges locaux, des Réseaux d’échanges de savoirs, les recycleurs et ressourceurs, les « déboulonneurs », les « faucheurs volontaires »… Ça fait du monde… Et ça pourrait faire le monde demain. Car c’est dans les marges des sociétés en bout de course que naît le ferment qui réenchantera le monde. Lyrisme et utopie que tout cela ?Oui ! Mais comment imaginer autrement les beaux dimanches ?

Yann Fiévet
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