Références et avant-propos

Modérateur: yann

Références et avant-propos

Messagepar yann sur Dim 6 Sep 2009 19:12

Yann Fiévet
Le monde en pente douce
Editions Golias, août 2009
385 pages, 19 euros



Avant-propos

Cela fait près de trente ans maintenant que le monde glisse sur une pente douce. A la fin des années soixante-dix du siècle dernier une nouvelle histoire du capitalisme a débuté . Mettant fin à la « grande transformation » que Carl Polanyi avait salué avec tant de pertinence aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale et qui permit de dompter pendant quelques décennies « l’implacable machine à profit», les hommes ont remis le roi Marché sur son trône. Très vite le roi devint tyrannique au point d’obtenir de ses serviteurs les plus empressés qu’à terme la moindre parcelle des activités humaines soit subordonnée à son intransigeante autorité. Si ce terme n’est pas encore atteint l’on s’en rapproche chaque jour davantage. L’Histoire de cette descente sensible vers un abîme que l’on ne veut pas entrevoir reste à écrire.
En juin 1994, quand le mensuel Le Peuple Breton m’ouvrit ses colonnes pour la création de la rubrique que je nommais dès cet instant Leurre de vérité je n’imaginais pas que j’alimenterais celle-ci encore en 2009. Pourtant, dès l’origine j’avais la claire intuition que le rouleau compresseur néolibéral en marche depuis quinze ans n’en était probablement qu’au début de sa route dévastatrice. La toute première chronique avait pour titre Attristante Italie. Silvio Berlusconi venait d’être nommé chef du Gouvernement italien pour la première fois. Je n’imaginais sans doute pas alors que chaque mois pendant quinze années les motifs de tristesse se feraient à ce point concurrence que le choix du thème de chaque nouvelle chronique serait la plupart du temps cornélien.
D’emblée le Leurre de vérité s’est voulu résolument radical et l’est resté jusqu’à aujourd’hui. Je remercie vivement Joël Guégan et Ronan Leprohon, rédacteurs en chef successifs du Peuple Breton, d’avoir défendu indéfectiblement cette radicalité si dérangeante pour le citoyen trop souvent assoupi mais si nécessaire au débat d’idées. Au moment de l’ouverture de cette rubrique mensuelle cela faisait plus de dix ans que la France avait négocié « le tournant de la rigueur » ouvrant ainsi le long cortège des renoncements de la Gauche fascinée par les charmes commodes de l’air du temps. Là n’est pas la moindre de mes tristesses. Ni la moindre de mes colères.
Si ce recueil débute avec un texte écrit au milieu de l’année 2000 , la publication des chroniques des six premières années ne ferait que confirmer les tendances lourdes à l’œuvre depuis que fut décrété la supériorité du Marché dans le règlement de tant d’aspects de la vie des hommes et de leurs sociétés. L’une de ces tendances majeures est le déclin fulgurant du politique, déclin qui marque un nouveau pas gravissime avec le discours prononcé en décembre 2007 à Rome par Nicolas Sarkozy en tant que « chanoine du Latran ». Selon le Président de la République, « dans la transmission des valeurs et dans l’apprentissage de la différence entre le bien et le mal, l’instituteur ne pourra jamais remplacer le pasteur ou le curé, parce qu’il lui manquera toujours la radicalité du sacrifice de sa vie et le charisme d’un engagement porté par l’espérance. » Nous sommes désormais très loin de la lettre et de l’esprit de l’article Premier de la Constitution qui définit la République française comme « laïque, démocratique et sociale ». Laïque, cela signifie qu’elle refuse la confusion entre convictions religieuses et exercice des responsabilités politiques. Le retour du religieux – ici au plus haut de l’État – n’est assurément pas l’un des moindres troubles de notre époque déboussolée.
Tellement accaparés qu’ils sont par la marche des affaires, les joies exubérantes de la société de consommation et le culte fébrile du credo libéral les hommes renoncent progressivement aux valeurs de coopération, de solidarité, de partage . La « concurrence libre » n’a jamais produit autant d’inégalités de par le monde qu’en ce début de XXIème siècle. L’accaparement exorbitant du Marché nous détourne de la nécessaire volonté d’établir la paix sur terre et d’y renforcer les valeurs de civilisation.
Il paraît que « le libéralisme n’a pas d’avenir ». Acceptons cet heureux présage que peu de choses encore permet de juger autrement que comme un espoir intelligent. Certes, l’Amérique du Sud est de plus en plus gagnée par la volonté de se déprendre de la domination de sa « grande sœur » du nord. Certes, plusieurs pays sud-américains ont créé la Banque du Sud afin de se démarquer du « consensus de Washington » forgé par le couple FMI-Banque Mondiale. Certes, l’Organisation Mondiale du Commerce marque sérieusement le pas dans sa marche « totalitaire » vers l’organisation commerciale du monde. Ces signes encourageants sont-ils le début de la construction d’un monde plus solidaire et plus démocratique, capable de résoudre la crise écologique planétaire ? Il est trop tôt pour le dire. La crise financière mondiale , parce qu’elle marque définitivement la faillite du néolibéralisme, pourrait favoriser l’éclosion de cet autre monde. En attendant ces jours meilleurs, le siècle a bien mal commencé .

Yann Fiévet
23 mai 2009
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