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Diwanic ou la générosité

MessagePublié: Jeu 1 Déc 2011 01:00
par yann
Diwanic ou la générosité

Dans les méandres de ce qui persiste du bocage finistérien se niche un gros bourg du nom de Diwanic. Il ne s’agit pas de l’un de ces nombreux bourgs-dortoirs qui ont poussé comme des champignons non loin des villes. Ici, les gens vivent et travaillent dans une proximité rassurante. Informés de la marche chaotique du monde ils ne méconnaissent pas les innombrables effets de la Crise qui frappe la planète en tous lieux. A leur manière ils en prennent leur part sans trop d’effort. A Diwanic règne une intelligence presque naturelle : on a su y préservé de nombreux métiers indispensables à la vie des hommes et l’on transmet de génération en génération, contre vents et marées, ce précieux patrimoine de savoir-faire. Et l’on vient de loin pour faire travailler ces menuisiers, charpentiers, couvreurs, matelassiers, forgerons, mégissiers, chaudronniers, boulangers, charcutiers, tailleurs, paysans ou libraires. L’école est pleine d’enfants car Diwanic en a tout simplement fait beaucoup et attire ceux de tous les villages à l’entour.
A deux kilomètres du bourg, à l’issue d’un long chemin creux et sinueux se cache une longère aux murs de pierre épais et fenêtres discrètes. Une famille béninoise vit depuis trois ans dans cet endroit paisible. Les parents sont sans papiers, leurs deux enfants vont avec gaîté. En apparence isolée, cette famille est parfaitement intégrée à la communauté villageoise. Aminata et son frère Paul sont scolarisés depuis leur arrivée à l’école publique de Diwanic. Leur père, Théophile, est palefrenier au haras de Mme Thiriez, épouse du patron du groupe Beauchamp, géant de la Grande Distribution. Le haras du Hascouët est la « danseuse » de ce magnat. La défiscalisation, quel bonheur ! Ce ne sont pas les Thiriez qui ont embauché Théophile voilà dix-huit mois mais leur régisseur, Jean Le Tallec, à leur insu. La compagne de Théophile, Patience, travaille comme aide-soignante à la maison de retraite située à la sortie du bourg. A l’exception des habitants de Diwanic personne ne sait où habite cette famille ordinaire et l’on veille consciencieusement au maintien de cette discrétion protectrice. Les anciens de Diwanic se souviennent avec fierté que leurs parents avaient organisé sous l’Occupation tout un réseau de familles afin de protéger des enfants juifs. Les traditions ont ici la vie dure.
Aminata et Paul appartiennent à la classe bilingue de l’école Anjela Duval. Ils parlent de mieux en mieux et indifféremment le français et le breton. Pour leurs parents ce bilinguisme est comme une évidence. Théophile envie beaucoup ses enfants tant il aimerait pouvoir un jour donner libre cours à ses talents de conteur dans la langue de Glenmor. Avec ses vieux amis Roparz Le Miliner et Loeyz Morvannou il se borne à conter dans ce bon français qui lui vient de la fréquentation assidue de l’école de son village natal. Il se plait à faire ainsi honneur au fait que jadis le Bénin était surnommé le Quartier Latin de l’Afrique. Les trois complices aiment disserter à propos des proximités et différences des contes ouest africains et bretons. Ils travaillent à l’écriture d’un recueil comparatif de ces trésors de l’oralité. Cependant, Théophile ne conte ses histoires tantôt graves tantôt truculentes qu’aux habitants de Diwanic. Suivre ses deux compères vers d’autres pays de Bretagne serait par trop dangereux ; les routes ne sont pas sûres pour lui dès qu’il s’éloigne un tant soit peu de son bourg d’adoption.
Les deux flics en civil garèrent leur voiture banalisée devant la gendarmerie de Diwanic. Ils entrèrent rapidement dans l’édifice, pas assez vite cependant pour éviter l’éveil de l’attention de deux jeunes femmes se rendant au marché de la place ruz. Elles se regardèrent et allongèrent le pas. En ce matin du 24 décembre la place ruz est noire de monde. Au bout de quelques minutes seulement tout le monde sut. Il ne fallait pas mollir. Les frères Louarn montèrent sans nervosité dans leur camionnette qui fendit aussitôt la foule avant de quitter le marché par la rue Pennec. C’est Aminata qui la première entendit le bruit du moteur. Quand la camionnette parvint au bout du chemin toute la famille était prête. Chacun monta avec son sac à l’arrière du véhicule qui repartit immédiatement. Dès que la voiture de la police était arrivée devant la gendarmerie le plan élaboré par le Conseil citoyen de Diwanic avait été enclenché. Milou Louarn immobilisa la camionnette sous le hangar de la ferme de Job Guiziou, maire de Diwanic depuis vingt-cinq ans. Tout le monde se réfugia promptement dans la grande salle commune où l’on respira enfin devant un bol de café brûlant et un far encore tiède. Une demi heure plus tard, Anna Guiziou installa ses quatre pensionnaires dans leurs nouvelles chambres. Les Louarn avaient déjà regagné le bourg et rassuré les villageois inquiets.
Tout l’après-midi les policiers interrogèrent les nombreuses personnes désignées par les gendarmes comme étant susceptibles de les renseigner. Les concitoyens de Diwanic répondirent que la famille dont on leur parlait était partie depuis plusieurs jours, qu’ils ne la fréquentaient pas, qu’ils ne savaient pas où ces gens avaient habité. Plusieurs passèrent probablement aux yeux des hommes de l’ordre pour des racistes ordinaires. Paol Fustec, le directeur de l’école, et le maire furent interrogés plus longuement. Sans plus de résultats. Ils eurent tous deux la certitude que la police ne disposait d’aucune information sérieuse sur leurs protégés et était probablement venue à DIWANIC SUR la base d’une vague dénonciation. Les flics repartirent bredouilles ! On fut grandement rassuré pour les amis béninois et satisfait d’avoir rôdé le plan de sauvetage que l’on espérait toutefois ne jamais devoir réutiliser.
Le réveillon à la ferme Guiziou fut particulièrement joyeux. Les trois conteurs étaient en verve comme jamais. Les accents de l’accordéon diatonique de Fanch Rouzic se firent entendre longtemps dans la nuit. Trois jours après Noël, Théophile, Patience et leurs chers enfants regagnèrent leur tranquille longère. Ils y demeurent toujours et attendent le moment de ne plus devoir se cacher.

Yann Fiévet
Novembre 2011