Elèves handicapés : ce que taisent les chiffres

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Elèves handicapés : ce que taisent les chiffres

Messagepar yann sur Ven 15 Juil 2011 19:08

Elèves handicapés : ce que taisent les chiffres

Par Lucie Delaporte
Médiapart - 30 juin 2011 |


Le 8 juin s'est tenue la deuxième conférence nationale sur le handicap. Dans une atmosphère de précampagne électorale, Nicolas Sarkozy, accompagné de onze
membres du gouvernement, a présenté un premier bilan de sa politique en matière de handicap. Avec une insistance toute particulière sur la question de
la scolarisation des enfants handicapés.
Le moment est à l'autosatisfaction sur un thème qui avait constitué un moment clé de la campagne de 2007. Lors d'un très vif échange avec Ségolène Royal
à la veille du second tour, Nicolas Sarkozy avait rappelé sa proposition d'un droit opposable à la scolarisation pour les enfants souffrant de handicap,
se disant « bouleversé » par leurs situations.
cadre sans nom 1
fin du cadre sans nom 1
Débat Royal-Sarkozy : l'accrochage
par
Afriklive
Quatre ans plus tard, le chef de l'Etat s'est félicité des progrès réalisés en mettant en avant quelques chiffres. «Si nous regardons le chemin parcouru
depuis 2008, il y a beaucoup de victoires, petites et grandes, qui doivent nous encourager à poursuivre notre action. (...) Nous devons permettre aux élèves
handicapés d'aller à l'école, simplement aller à l'école, comme tous les autres enfants. J'ai voulu que la France soit exemplaire en ce domaine. Aujourd'hui
200.000 enfants handicapés sont inscrits à l'école de la République. Ce sont 50.000 de plus qu'en 2005»,
a annoncé le Président,
soulignant que l'effort financier à l'égard du handicap a progressé de 15% depuis 2007.
Mais ce que ces chiffres ne disent pas, c'est dans quelles conditions sont réellement accueillis ces enfants. Difficile de pavoiser face à ce qui ressemble
souvent sur le terrain à une scolarisation low-cost.
Concernant les chiffres avancés, une précision s'impose. L'augmentation du nombre d'enfants handicapés scolarisés est certes significative mais remonte,
comme Nicolas Sarkozy le souligne, non pas à son arrivée à l'Elysée, mais à 2005, date de l'entrée en vigueur de
la loi du 11 février
dite «pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées». Une loi fondatrice, adoptée sous le gouvernement
Raffarin, qui pose le droit pour chaque enfant en situation de handicap à être scolarisé dans l'école de son quartier, en privilégiant autant que possible
l'inclusion en milieu scolaire ordinaire. A charge pour l'Etat et les collectivités d'assurer l'accueil des équipes enseignantes, l'accessibilité des établissements.
Depuis son adoption, le nombre d'enfants handicapés scolarisés en milieu ordinaire a augmenté d'environ 12.000 par an, selon les chiffres fournis par
le rapport du sénateur Paul Blanc,
remis à l'occasion de la conférence nationale sur le handicap.
Scolarité à temps très partiel
« C'est un rideau de fumée puisque sont comptabilisés des élèves même lorsqu'ils n'ont en réalité que deux ou trois heures d'enseignement par semaine»,
s'agace le professeur Richard Horowitz, président de la fédération nationale des Centres médicaux psycho-pédagogiques (CMPP). Par manque de personnel pour
les accompagner dans leurs apprentissages, bon nombre d'enfants sont en effet contraints à une scolarisation très partielle. «Concrètement les enfants
sont parfois accueillis une seule demi-journée dans la semaine parce que leur auxiliaire se partage entre plusieurs enfants. Cela veut dire que le reste
du temps, l'enfant est avec ses parents dont l'un doit souvent renoncer à travailler», précise Thierry Nouvel, directeur général de l'Union nationale des
associations de parents, de personnes handicapées mentales (Unapei).
«Le ministère nous a annoncé que 90% étaient scolarisés à temps complet mais on ne voit pas très bien d'où sort ce chiffre, s'interroge Christel Prado,
présidente de l'Unapei. Nous avons obtenu en 2008 que les temps très partiels soient comptabilisés mais ces chiffres ne sont pas publiés. Nous aimerions
également avoir des chiffres par type de déficience car pour la déficience intellectuelle, nous sommes en effet sur des temps très partiels de scolarisation
», un enfant en fauteuil roulant ou un enfant autiste n'ont évidemment pas les mêmes besoins d'accompagnement.
Cette opacité a également été montrée du doigt dans
une récente délibération de la Halde
qui soulignait « le manque d'éléments d'information permettant une connaissance précise de l'état des lieux de la scolarisation des enfants handicapés en
France» et recommandait de « développer les outils, notamment statistiques » pour y remédier.
Derrière ces querelles de chiffres, ce que pointent les responsables associatifs, c'est, plus largement, la question de la qualité de l'intégration scolaire
de ces enfants. « Il ne peut y avoir de scolarisation des enfants handicapés que si cela a du sens pour ces enfants. Aujourd'hui les moyens d'une réelle
égalité des chances ne sont pas au rendez-vous », constate Christel Prado. L'accompagnement des enfants en situation de handicap par des auxiliaires de
vie scolaire (AVS) a été l'une des principales difficultés pointées par le rapport Blanc.
Pour faire face à l'augmentation du nombre de handicapés à l'école, l'Etat a en effet ces dernières années massivement recouru aux contrats aidés. Des personnels
précaires peu ou pas formés, mal payés, et employés sur de courtes durées, « empêchant toute capitalisation de l'expérience », comme le souligne le rapport
Blanc. Ce type de contrats a littéralement explosé ces trois dernières années au point de constituer la moitié des 23.000 accompagnants recensés en 2010.
Assistante d'un enseignant aveugle, puisque la question de l'intégration des handicapés se pose aussi pour les enseignants, Emilie Le Saulnier livre un
témoignage accablant de ces conditions de travail. «Je n'avais aucun statut, j'étais bien sûr payée au Smic et on ne m'a proposé qu'une journée de formation
au bout de cinq ans! Et maintenant que mon contrat arrive à son terme, la seule solution qu'on me propose, c'est une validation d'acquis pour être monitrice
en centre aérée», raconte-t-elle.
Lors de la conférence du 8 juin, Nicolas Sarkozy s'est engagé à supprimer ces contrats aidés et à mettre en œuvre le recrutement de 2.000 assistants scolaires
«mieux formés, mieux payés et disposant de véritables perspectives de carrière» dès la rentrée 2011. « Lorsqu'on compare avec la suppression des contrats
aidés (11.400), le différentiel est énorme ! » s'alarme Nelly Paullet, responsable de la question au SE Unsa. Y aurait-il là un tour de passe-passe pour
diminuer encore les moyens consacrés aux élèves handicapés ? Certains le redoutent. Selon Agnès Duguet, membre de la commission scolaire de l'Unapei, les
maisons départementales du handicap (MDPH) recevraient de plus en plus de consignes restrictives dans l'attribution des postes d'auxiliaires. «J'ai pu
consulter un document interne où il était écrit que pour certains handicaps comme la déficience auditive, la dyspraxie ou la déficience psychique, par
exemple, il ne fallait plus attribuer d'AVS», affirme-t-elle.
Restriction sur la formation
Contrairement à ce que laissent entendre les déclarations présidentielles, l'intégration scolaire des handicapés n'a pas été épargnée par les coupes budgétaires
au sein de l'Education nationale. Le cas des Centres médico-psycho pédagogiques (CMPP) est à cet égard emblématique. Dans ces lieux de soins qui suivent
chaque année en France 200.000 enfants dont l'immense majorité sont scolarisés en milieu ordinaire (l'enfant y rencontre selon son handicap un orthophoniste,
un psychomotricien...), les postes des personnels détachés de l'Education nationale ont été pratiquement divisés par deux ces trois dernières années passant
de 700 à quelque 450.
«Or ce sont des postes très précieux pour nous, souligne le docteur Richard Horowitz, président de la fédération des CMPP, puisque ce sont des professionnels
qui ont le double avantage de pouvoir aider en individuel les élèves mais qui ont aussi une très bonne connaissance du milieu scolaire et peuvent faire
le lien entre l'école et les équipes de soin.»
Le premier CMPP créé, Claude-Bernard à Paris, n'aura ainsi plus aucun enseignant spécialisé à la rentrée prochaine. «Supprimer des postes chez nous est
beaucoup plus facile, parce que cela se voit beaucoup moins », estime Richard Horowitz. Tant pis pour «la priorité nationale» décrétée sur ce thème...
Aujourd'hui, la situation des classes d'inclusion scolaire (CLIS) est tout aussi alarmante. Alors que ces classes permettent aux élèves handicapés du premier
degré (jusqu'au CM2) de suivre en petit effectif leur scolarité avec
une pédagogie adaptée à leur handicap
– le texte stipule bien que l'enseignant en charge de ces classes doit être un « spécialiste de l'enseignement aux élèves handicapés » –, cette année, sur
les 4.194 classes spécialisées, 1.500 ont été confiées à des enseignants sans aucune formation spécifique! Plus inquiétant encore, la plupart de ces enseignants
sont des novices. «Ce sont pour la plupart des débutants qui se retrouvent dans ces classes dont les enseignants plus expérimentés – qui savent qu'ils
ne seront pas suffisamment épaulés – ne veulent pas», explique Nelly Paulet. Beaucoup de familles ont donc l'impression que la scolarisation de leur enfant
«en milieu ordinaire» se fait, certes, mais largement au rabais.
«Il est inacceptable de voir qu'on délivre de plus en plus une formation spécialisée bradée aux enseignants, avec des heures de formation qui ont été divisées
par deux», poursuit Nelly Paulet. Le syndicat SE Unsa fait ainsi remarquer que « 75 candidats provenant de 42 départements (moins de la moitié) ont été
admis à suivre la formation cette année à l'INSHEA (institut national supérieur de formation et de recherche pour l'éducation des jeunes handicapés et
les enseignements adaptés) ». Un chiffre en chute libre puisqu'ils étaient 152 en 2005 et 136 en 2006.
Dans ce contexte, rien d'étonnant à ce que l'arrivée d'un enfant handicapé dans une classe soit une source d'angoisse pour les profs. « Je rencontre beaucoup
d'enseignants désemparés. Lorsqu'ils se retrouvent face à un enfant qui présente des troubles du comportement, ils n'ont absolument personne à qui parler
de leurs difficultés. L'administration les renvoie souvent à un mur », raconte Nelly Paulet. Les profs se retrouvent donc seuls pour gérer ces situations
alors même que le nombre de postes de psychologues scolaires, de Rased (réseau d'aide aux enfants en difficulté) ont parallèlement dégringolé ces dernières
années.
« On a beaucoup trop chargé la barque des enseignants, reconnaît de son côté Agnès Duguet, membre de la commission scolaire de l'Unapei et également enseignante,
puisqu'ils sont confrontés à l'arrivée d'enfants handicapés, auparavant suivis dans des structures spécialisées, au moment où les effectifs de leurs classes
explosent du fait des suppressions de postes. S'ils n'obtiennent pas de soutien, le risque c'est qu'ils disent “celui-là je le mets au fond de ma classe
et je ne m'en occupe pas” », prévient-elle.
Enfants sans solution
«J'ai vu une enseignante martyriser littéralement durant toute l'année un élève déficient mental dont elle parlait comme “du gros débile”», témoigne une
ancienne enseignante et directrice d'école elle-même handicapée auditive et qui a initié une procédure à la Halde pour avoir été à son tour victime de
discrimination au sein de l'Education nationale du fait de son handicap. Pour elle, la question des moyens n'explique pas tout. C'est aussi tout le regard
de l'institution scolaire qui est à revoir vis-à-vis du handicap.
«Dès lors que j'ai signalé mon handicap au rectorat (un handicap auditif largement compensé et qui ne nous a pas empêché d'avoir une longue conversation
téléphonique), j'ai été déclarée inapte à mon poste car pouvant représenter, selon une note confidentielle rédigée par mon inspecteur, un danger pour les
élèves !» raconte, très émue, cette enseignante placée de fait dans une situation inextricable. La loi de 2005 prévoyait que les programmes intègrent un
savoir spécifique sur le handicap: cela n'a jamais été appliqué.
Enfin, malgré des chiffres attestant la progression indéniable du nombre d'enfants handicapés scolarisés, 13.000 enfants sont toujours sans aucune solution
scolaire selon l'Unapei. Face à ces situations, l'idée régulièrement avancée par Nicolas Sarkozy depuis 2007, de mettre en place un droit opposable à la
scolarisation, n'a jamais rencontré les suffrages des représentants associatifs. Ils savent ces procédures longues et donc incompatibles avec l'urgence
scolaire des enfants.
Le retentissant échec du droit au logement opposable
aura achevé de doucher les derniers enthousiasmes.
Du coup les laissés-pour-compte scolaires sont souvent contraints à l'exil en Belgique, pays qui a de longue date développé notamment l'accueil des jeunes
autistes. « Il faut savoir que l'Etat français finance ces exils scolaires en Belgique. Or, outre les aspects logistiques évidemment très lourds pour des
familles qui habitent dans le Nord-Pas-de-Calais ou en région parisienne, il faut souligner que les établissements belges ne sont pas du tout soumis aux
mêmes normes de qualité que les établissements français. Certains sont excellents mais d'autres... beaucoup moins ! Et l'on peut regretter que nos inspecteurs
ne puissent pas y mettre les pieds », déplore Christel Prado. Sans solution en France, ces « exilés scolaires » seraient environ
deux mille à passer nos frontières
chaque année pour trouver une école. Un chiffre qui n'aurait pas baissé ces dernières années, preuve qu'il reste encore beaucoup à faire.


http://www.mediapart.fr/article/offert/ ... cbaf02e72b
yann
 
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