C'est pas le Pérou !

Modérateur: yann

C'est pas le Pérou !

Messagepar yann sur Sam 27 Déc 2014 12:40

C’est pas le Pérou !


La vingtième conférence des Nations-Unies sur le climat (COP 20) s’est tenue à Lima le mois dernier. Elle se devait de lancer sérieusement le processus de préparation de la COP 21, « conférence de la dernière chance » qui se tiendra à Paris-Le Bourget au mois de décembre 2015. Disons-le tout de go : c’est très mal parti ! Le choix du Pérou pour cette énième conférence n’a en rien conjuré le sort de la crise climatique depuis longtemps scellé dans le dogme du développement par la Croissance sans freins. Les déclarations optimistes des participants officiels ne parviennent plus à tromper grand-monde. L’intelligence est au contraire de plus en plus clairement du côté des « contre-sommets climatiques » organisés par un nombre croissant d’organisations non-gouvernementales. Les engagements respectifs des protagonistes des deux camps sont devenus dramatiquement inconciliables : quand les premiers entendent placer l’écologie sous la férule de l’économie les seconds veulent l’élever au rang de principe suprême, de condition nécessaire à la survie de l’Humanité.

L’honnêteté intellectuelle commande de dire que depuis la Conférence de Copenhague, en décembre 2009, les lignes n’ont pratiquement pas bougées. Il est même permis d’alléguer que « la communauté internationale » à réviser à la baisse ses ambitions de lutte contre le réchauffement climatique. La conférence de Copenhague, qui devait tracer la voie pour un renouvellement du protocole de Kyoto, a en fait ouvert un processus niant les dimensions foncièrement politique et civilisationnelle du changement climatique. Il s’agit seulement de promouvoir le climat comme nouvel objet de négociations géostratégiques. Les tensions qui animent ces négociations ressortent largement du conflits pour la répartition de la richesse entre « pays développés » et « pays en développement ». Elles s’enracinent dans un paradigme qui fait du développement la norme de la politique internationale. Tout au plus on lui accole une série d’adjectifs édulcorants : développement propre, durable, soutenable et même intelligent. La croissance des pays émergents, basée sur un modèle COPIANT ET exacerbant le productivisme des vieux pays industriels, conforte ce modèle et donne l’occasion à ces derniers de s’exonérer de leur responsabilité historique dans la crise climatique et de nouer avec les « nouvelles puissances » des liens contenant des valeurs partagées. Les conflits, au lieu d’être abordées comme révélateurs de tensions politiques impliquant de traiter les causes du changement climatique, sont présentés comme des obstacles compromettant la négociation multilatérale. Ainsi, les négociations ne portent plus sur des objectifs précis, globaux et contraignants arrêtés de manière multilatérale. L’accord attendu lors de la Conférence de Paris en décembre 2015 devra se construire en effet à partir des déclarations volontaires des différents États, lesquelles doivent être exprimées dans les tous prochains mois.

A Lima , on a donc discuté du contenu des « déclarations volontaires », de la capacité à calculer les engagements, de la comptabilité des émissions de gaz à effet de serre, de l’évaluation des politiques climatiques et du contrôle de leur réalité. Les luttes opposant les différents groupes de pays ne portent plus sur des objectifs climatiques en tant que tels, niveau d’émissions, répartition de ces dernières par pays, calendrier de réalisation, abandon progressif des énergies fossiles, mais sur la méthodologie, le contenu et la vérification des déclarations des États. Les pays du Sud souhaitent que soient inclus des engagements sur l’adaptation au changement climatique, sur le financement de leurs objectifs, sur le transfert de technologies, les pays du Nord, surtout les USA et les pays émergents refusent d’être tributaires d’une vérification internationale et veulent se consacrer uniquement à la réduction des émissions de GES. Enfin, la discussion sur les financements étant remise à plus tard - les fameux « cent milliards par an » décidés à Copenhague - les marchés du carbone restent le principal moyen envisagé pour le financement des politiques de réduction des émissions. La création de nouveaux mécanismes de marché est du reste à l'ordre du jour. Ainsi, le Mécanisme de Développement Propre (MDP) prévu par le Protocole de Kyoto pourrait être étendu. Il permet aux pays industrialisés de compenser leurs émissions en finançant, dans les pays du Sud, des projets de « croissance verte » qui « évitent » des émissions. Cependant, comme le prix de ces émissions évitées, appelées réductions d’émissions certifiées (REC), s’est effondré au cours des dernières années, il est devenu nécessaire de donner une nouvelle impulsion à ce mécanisme. Plus de marché pour corriger les défaillances du marché ! Le principe même de l’unification des déclarations de réduction volontaires des différents pays est donc incontestablement un dispositif impérieux dans le souhait des tenants de la mondialisation néolibérale de parvenir un jour à un marché mondial du carbone.

En niant les dimensions politique et civilisationnelle de la crise climatique, la Convention des Nations Unies sur le climat s’est discréditée. La nouvelle procédure pourrait fonctionner dans un monde fondé sur la coopération et la solidarité, sur la reconnaissance des attachements des Hommes à la nature, sur l'inscription de leurs activités dans les limites de l'écosphère. Mais, dans le monde réel qu’elle ne veut surtout pas remettre en cause pour l’essentiel, elle a créé une machine à empiler des mécanismes techniques toujours plus sophistiqués, destinés à neutraliser les tensions politiques et à tenter de résoudre les crises. Le protocole de Kyoto tout comme la Convention sur le changement climatique, signée en 1992, sont donc désormais considérés comme des parenthèses. Comment s’étonner dans ces conditions que lors de la COP 20 l’urgence climatique soit devenue une simple toile de fond. Les engagements qui devaient être pris d’ici 2020, autre mission de cette conférence, ont été purement écartés. Pourtant, il faut impérativement miser, dès maintenant et au-delà de décembre 2015, sur un sursaut de conscience et d’engagement afin de comprendre, de combattre et dépasser ce qui fait le cœur du désastre climatique. A Lima, les mouvements sociaux péruviens ont réussi à organiser durant plusieurs jours un « sommet des peuples », foisonnant d’analyses pertinentes et de témoignages précieux. Ce contre-sommet fut ponctué d’une manifestation de vingt mille personnes, la plus grande manifestation sur le climat jamais organisée dans cette région du monde. A Paris, à la fin de cette année, nous ne devrons pas faire moins. La « communauté internationale », quant à elle, devra faire beaucoup plus.


Yann Fiévet
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