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Scandales en Rafale

MessagePublié: Mar 24 Fév 2015 11:52
par yann
Scandales en Rafale


La France n’a pas fini de se féliciter des fruits que ses actuels dirigeants attribuent sans vergogne à « l’esprit du 11 janvier ». Après la loi Macron, passée sous la barbe des députés, avec tout juste deux reculs fracassants à propos de feu le « secret des affaires » et le sauvetage crapuleux de la réglementation de la profession de notaire, voilà conclu le contrat de l’année – si ce n’est de la décennie – avec l’Egypte pour la livraison de 24 chasseur Rafale. Une arme des plus sophistiquée que la société Dassault et la France qui en est le VRP en chef tentaient désespérément de vendre depuis quinze ans à d’autres armées que l’armée française. On se souvient que Nicolas Sarkozy s’étaiit battu comme un beau diable en son temps pour son ami Serge qu’il n’hésitait pas à l’occasion à emporter dans ses bagages lors de voyages officiels à l’étranger. Nos duettistes auraient volontiers fourgué le zingue le plus cher du monde au colonel Kadhafi qui eut pourtant l’outrecuidance de ne rien acheter du tout lors de sa visite en France fin 2007 (1). Fort heureusement, d’autres dictateurs vont désormais, on en est sûr, être beaucoup moins ingrats. Il n’est pas que dans le domaine de la politique économique que l’alternance est une continuité : dans celui des ventes d’armes la stratégie de François Hollande est également une prolongation honteuse, si ce n’est un renforcement assumé.

Il convenait de ne pas faire lanterner le Maréchal Sissi. Un contrat – juteux en apparence - de 5,3 milliards d’euros Qui comprend, outre les Rafale, deux frégates Gowind et une frégate Fremm (construites par les chantiers navals DCNS), un lot de missiles de défense anti-aérienne de courte et moyenne portée fournis par MBDA. Il conviendrait de se réjouir pour les sept mille emplois du secteur aéronautique et les quatre-cents sous-traitants participant à la production du Rafale. Après une année 2014 record pour les ventes d’armes françaises, l’on ne pouvait rêver meilleur début d’année ! L’an dernier, la France est en effet parvenue à la troisième place des pays exportateurs d’armement, à égalité avec la Grande-Bretagne, pour 8,1 milliards d’euros, soit une progression de 17,3 % en un an. Un palmarès dont il n’est pas sûr que nous ne devions pas rougir.

L’affaire égyptienne a été rondement menée contrairement à l’accoutumée où les négociations, impliquant des dizaines d’intermédiaires, durent souvent des années. En novembre dernier, le Maréchal fit lui-même sa demande à François Hollande puis rencontra rapidement le Ministre de la Défense, Jean-Yves Le Driant. A la fin du mois de janvier les patrons des trois principales firmes concernées par le marché furent « convoqués au Caire. On prit garde de ne pas fâcher l’hôte égyptien à l’empressement inhabituel. Celui-ci s’engagea à signer prochainement un engagement pour un acompte de… 10% du montant de l’importante commande. L’Etat français, par le biais de la COFACE, s’engage à garantir la moitié de la valeur du contrat. Disons au passage que si l’Egypte venait à faire défaut après livraison des armes, c’est le contribuable français qui les paierait. Un emprunt de l’Egypte auprès d’un consortium bancaire, comprenant notamment la BNP-Paribas et le Crédit Agricole, fut également négocié. Enfin l’Arabie saoudite Et les « émirats arabes unis » furent aussi sollicités. Le contrat prévoit que la production en série des Rafale débuterait à Mérignac en 2018 seulement. Le Maréchal trouvant que cette date est par trop lointaine, trois chasseurs qui étaient initialement destinées à l’armée française (2) lui seront rapidement livrés, tout comme une frégate Fremm de dernière génération. Cela allègera le budget de l’Etat qui en a bien besoin. Tout est donc bien qui finit bien !

Le « réalisme politique » triomphe toujours. ?Nous ne saurions être surpris : l’esprit du 11 janvier confisqué par le tandem Hollande-Valls est aux antipode de « l’esprit, on ne peut plus antimilitariste, de Charlie » ! Seuls les naïfs en sont pour leur frais. Comme elle est loin également la sympathie un temps affichée pour le « printemps égyptien » qui permit de renverser le Président Moubarak. Depuis qu’il occupe le pouvoir suprême, le Maréchal Sissi n’a de cesse de réprimer durement les acteurs de la Révolution. Cette répression a déjà fait plusieurs centaines de morts, mit en prison de très nombreux opposants au régime. Il était donc urgent de l’aider à renforcer son arsenal militaire. A quand l’aide de la police française –dont le savoir-faire est lui aussi incontestablement l’un de nos fleurons – à la police égyptienne qui n’en a sûrement pas terminé avec les risques de déstabilisation intérieure ? Le scandale tient en ceci : toutes ces considérations morales – évidemment irréalistes – ne pèsent rien face à la nécessité de trouver des débouchés aux armes les plus mortelles que la France continue de produire. C’est aussi au nom de ce réalisme économique que l’on ferme les yeux sur le financement du terrorisme islamique par l’Arabie saoudite et le Qatar. La nausée ne devrait-elle pas nous étreindre ?

Pourtant l’on va bientôt mieux respirer encore. Le providentiel contrat égyptien pourrait permettre le déblocage des négociations avec l’Inde qui tarde, depuis trois longues années, à signer définitivement le contrat pour la livraison de cent vingt-six chasseurs
Rafale dont 108 devraient être construits en Inde. Ce contrat du siècle de plus de douze milliards d’euros pourrait être signé ce mois-ci. Nul doute que Paris y met toute son ardeur ! Pour la plus grande satisfaction de Serge Dassault qui, au travers de son engagement à l’UMP et dans les journaux dont il s’est rendu propriétaires, n’a jamais eu de mots assez durs contre la trop grande intervention économique et sociale de l’Etat. La seule explication de cette flagrante contradiction est que nous sommes dans ces affaires, sordides pour le citoyen rêvant encore d’humanisme, probablement en dehors de l’économie.

La guerre a de très beaux jours devant elle. L’appel à la fraternité du début d’année a promptement été pris d’assaut par les aventuriers de la politique étroitement associés aux marchands de canons. Dire que certains avaient annoncé la fin de l’Histoire !

Yann Fiévet
Février 2015


(1) Cf . notre article publié ici même en janvier 2008 et intitulé « le camelot de l’Elysée ».
(2) L’armée française a déjà reçu 137 Rafale sur les 225 prévus, soit une dizaine par an afin d’atteindre le seuil de rentabilité de la chaîne de production.