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Parlons dette !

MessagePublié: Mar 21 Juil 2015 21:42
par yann
Parlons dette !


Si l’on peut associer certains mots du vocabulaire courant à des époques particulières, nous pouvons incontestablement affirmer que le mot dette a trôné en maître absolu sur nos quinze dernières années. Précisons d’emblée qu’il s’agit là de la dette dans son acception monétaire ou financière. Il existe bien sûr d’autres occasions d’envisager le vocable : on parle par exemple de dette morale. Mais il se trouve que notre époque est imparablement à l’économie... triomphante comme jamais. La dette est donc en argent. Elle est, paraît-il, insupportable en elle-même et son idée ne vaut guère mieux. Il faut la payer proclament les sorciers des « grands équilibres » dans leurs doctes discours culpabilisateurs. Chiche ! Prenons-les au mot …

La dette du pays est souvent présenté comme étant d’abord un problème comptable. Des recettes attendues auraient été surévaluées, des dépenses prévues sous-évaluées. L’on sera plus rigoureux désormais, c’est promis. La crise économique a, elle aussi, sa part de responsabilité dans le creusement des déficits. On l’incrimine donc, mais comme une fatalité. Et puis, quand la croissance reviendra… les déficits s’effaceront tout naturellement. Déjà, ne la sentez-vous pas qui arrive ? Si vraiment elle tardait trop, on sortira le tournevis à austérité. De toute façon nous connaissons les responsables des trous budgétaires. Les assistés de la France d’en bas ou les malades déraisonnables, on va s’en occuper, ils n’ont qu’à bien se tenir. Voilà résumées à grands traits les fables que l’on nous sert à l’envi lorsque l’on prend le citoyen pour un gogo. L’évasion fiscale organisée ? Elle est anecdotique probablement puisqu’il n’en est jamais sérieusement question. Les cadeaux socio-fiscaux – et royaux faits aux entreprises depuis plusieurs décennies ? Pour retrouver la Croissance il faut aimer l’entreprise et quand on aime il ne saurait être question de compter ! Le renflouement des banques lors de la crise financière de 2008, sans contrepartie les incitant à modifier leurs pratiques ? Il était impossible de s’y soustraire. Après les silences éhontés et les excuses faciles viendra l’argument massue : on ne peut léguer le lourd fardeau de la dette aux générations futures. On les oublie pour le réchauffement climatique ou le saccage irréversible de l’environnement. On ne va tout de même pas commettre pareille sottise pour la Dette !

Il semble donc que toutes les dettes se valent. Il s’agirait à chaque fois d’un simple déséquilibre, parfois abyssal, à combler impérativement. Les raisons de la dette et de son creusement progressif importe peu, on en oubliera l’histoire. On oubliera également que derrière le paravent de la dette se cachent des rapports sociaux au travers desquels s’expriment des phénomènes de domination. Et qui dit domination dit affrontement plus ou moins vifs entre dominants et dominés. Pourtant, quand l’heure est au « tous dans le même bateau » il n’est plus temps de relire Marx ! Voilà bien encore une fable qui nous est sournoisement conté au lieu de nous apprendre à compter avec les faits tels qu’ils s’inscrivent dans les profondeurs des formations sociales et du fonctionnement de l’économie capitaliste. Brisons là ! Envisageons enfin la dette que nous avons envers… la vérité. Il existe des dettes indignes que l’on doit être capable de ne pas solder, en tout ou en partie, au nom précisément de cette indignité. C’est ainsi que la dette contractée au temps de la dictature de Videla en Argentine entre 1976 et 1983 est depuis peu soumise à un audit qui pourrait aboutir à alléger le fardeau du peuple argentin. Cela vient tard mais cela vient.

Et la Grèce ? Là aussi les fables et les faits s’entrechoquent. La Grèce est endettée car les Grecs sont indisciplinés, paresseux, refusent de payer des impôts, ont trop longtemps élu des dirigeants pas très honnêtes, etc. Les opinions publiques et les médias européens ont tellement cédé à ces idées reçues qu’elles ont désormais toute l’apparence de l’explication implacable. Les Grecs doivent donc sérieusement « mettre de l’ordre » chez eux et par eux-mêmes avant de quémander encore les deniers extérieurs. Rappelons au moins un fait historiquement daté et opportunément nié : quand il s’est agi de qualifier la Grèce pour la « zone Euro », en 1999, les responsables européens, à commencer par les membres éminents des « autorités monétaires », savaient que la dette réelle de ce pays excédait de très loin le chiffre affiché par ses dirigeants. Ainsi, M. Jean-Claude Trichet, alors patron de la BCE, savait que le Gouvernement grec trichait honteusement. Une fois qualifiée la Grèce a dû suivre un rythme auquel elle n’était pas préparée, un rythme qui deviendra vite un train d’enfer. Il faut aussi revenir sur les « généreux » plans de sauvetage octroyés à la Grèce. Ils ont surtout permis de sauver les banques étrangères – et partant de préserver les intérêts de leurs opulents actionnaires - engagées dans ce pays, notamment les banques allemandes très impliquées, entre autres activités, dans les montages financiers liés à l’armement disproportionné vendu à la Grèce durant plusieurs années. Enfin, osons reconnaître qu’en Grèce, comme ailleurs, la politique d’austérité est contre-productive et accroît donc les déficits et les difficultés de remboursement de la dette.

La Commission pour la vérité sur la dette grecque, siégeant dans l’enceinte du Parlement hellénique, devrait rendre ce mois-ci un rapport d’audit intermédiaire. Eric Toussaint, qui coordonne ses travaux, a rappelé que l’audit visait un double objectif : il s’agit de donner des éléments de réponse et des arguments au Gouvernement grec pour une éventuelle suspension ou annulation de la dette, mais également de mobiliser et sensibiliser les citoyens et citoyennes grecs - et du monde - sur les véritables enjeux «économiques de la dette et leurs implications socio-politiques. L’orthodoxie monétariste européenne ne s’y retrouvera évidemment pas. Le bras de fer va continuer. Le peuple grec doit être soutenu par les autres peuples d’Europe dans son combat, combat pour sa dignité et contre les mensonges dont il continue d’être l’injuste victime.

Yann Fiévet
Mai 2015