Automne silencieux

Modérateur: yann

Automne silencieux

Messagepar yann sur Lun 13 Fév 2023 14:26

L’automne va bientôt prendre fin. Il s’annonçait tumultueux. Il fut plutôt calme. On pourrait s’en réjouir. On aurait tort. Les raisons qui laissaient augurer un automne agité en France ne se sont pas effacées comme par magie. Leurs débouchés possiblement bruyants continuent de couver sous de trompeuses apparences. Sous un calme apparent se cachent en effet des velléités de troubles – qui s’expriment sporadiquement ici ou là - qu’il convient d’étudier attentivement. Parmi les quelques réjouissances à bon compte nous pouvons pointer un automne printanier, le plus doux de tous les temps. Comme il fut agréable de vivre dehors si tard dans la saison ! Et comme nous allons le payer cher demain, plus cher encore que ce que nous payons déjà à la crise climatique. L’immobilisme politique dont nous pouvions espérer sortir après la victoire à la Pyrrhus de Jupiter lors des dernières élections nationales devrait inciter à un sursaut déterminé du corps social. Le pouvoir en place semble cependant Prêt à y résister durement. En mots et en actes.

L’automne s’est déroulé comme s’était déroulé le printemps : le Président Macron et son Gouvernement restent sourds à la nécessité de transformer les règles du jeu de l’action publique. Les promesses d’un « monde d’après » plus doux avec les faibles et moins indulgent avec les forts, plus attentif aux multiples dégâts infligés aux divers écosystèmes par une économie prédatrice sans limites tangibles sont désormais loin derrière nous. Une autre promesse du monarque, celle de moins gouverner perso et avec moins de mépris, s’est elle aussi bien vite envolée. Elle n’a duré que l’espace d’un été torride où comme à l’acoutumée il ne s’est pas passé grand-chose hormis une « intense réflexion » sur les attributions floues d’un Conseil National de la R. qui a vite fait flop à la rentrée. Au Palais Bourbon, où le Président de la République ne dispose que d’une majorité relative, la Première Ministre détient l’arme redoutable du 49-3. Elle le dégaine plus vite que son ombre ! Cela tue le débat démocratique mais permet d’avancer tout droit, sans sourciller.
Ainsi, pour l’adoption de la partie recette du budget de la Sécurité Sociale ou celle de la réforme de l’assurance-chômage. Par ailleurs, l’Elysée et Matignon sont parfaitement à l’unisson pour refuser d’envisager la taxation des superprofits des groupes industriels et commerciaux engrangés ces dernières années. Allons, les profiteurs ne sont pas les actionnaires de ces groupes mais les chômeurs qui refusent de « traverser la rue » pour se faire gracieusement embaucher. Les entreprises vont bien finir par créer les centaines de milliers d’emplois attendus depuis si longtemps. Un peu de patience ! Et, restons calmes ! Rien de nouveau donc sous le soleil de l’automne ou sous les lambris du pouvoir.

Faute de pouvoir donner un grand coup de pied dans la fourmilière pseudo démocratique les citoyens encore politisés – contrairement à ce que l’on prétend trop souvent – s’expriment ailleurs et cherchent à inventer de nouvelles formes de lutte. A ce titre, l’automne n’a pas été vraiment silencieux. Encore faut-il orienter ses oreilles - et son regard - dans la bonne direction. Sur le terrain social l’imagination n’est certes pas vraiment de mise : blocages de raffineries sans entraves majeures, grèves de transports assez peu suivies, manifestations de rues plutôt clairsemées, etc. L’embrasement que certains espéraient n’est pas venu. Nous n’en déduirons pas que les « gens du bas de l’échelle » sont satisfaits de leur sort. Pour la plupart, ils ne croient plus aux formes traditionnelles de lutte aux maigres résultats depuis trop longtemps. Ils craignent aussi sans doute d’être dangereusement maltraités par une police surarmée. C’est en revanche sur le terrain des luttes écologiques que poussent de salutaires radicalités. Elles sont non violentes, ne recherchent aucunement l’affrontement avec les « forces de l’ordre » établi, évitent de répondre aux provocations de ces dernières. Elles privilégient la réalisation d’opérations symboliques représentatives des dangers gravissimes qui pèsent sur notre société et la nature qui la porte. Il s’agit ainsi de frapper l’opinion publique jugée par trop léthargique. A l’occasion, ces actions symboliques s’accomplissent lors de rassemblements festifs. Ce fut le cas le mois dernier à Sainte- Soline dans les Deux-Sèvres où le « scandale des méga-bassines » a mobilisé des milliers de gens inquiets de l’appropriation privée – par et pour l’agriculture intensive - de la ressource en eau. Une lutte pour la vie !

C’est à propos de l’évènement susnommé, au cours duquel fut démontée une canalisation devant alimenter une méga-bassine vaste comme plusieurs terrains de football, que Gérald Darmanin, Ministre de l’Intérieur, nous a asséné le terme « éco-terrorisme ». Il range probablement sous le même vocable les actions du collectif Ultime Génération qui cible – sans les dégrader – des peintures ancestrales célébrant la nature dans de prestigieux musées ou le collectif Dernière Rénovation qui bloque des routes pour réclamer un plan enfin sérieux d’isolation thermique des bâtiments.
C’est déjà lui qui parlait en 2020 de « l’ensauvagement de la société ». Où est la vraie sauvagerie, où se situe la véritable terreur, si ce n’est dans les multiples dégâts mortifères engendrés par nos modes de production et de consommation ? On a encore franchi un cran dans la tentative de provoquer l’effroi de nos concitoyens lorsque plusieurs «élus ou anciens élus de la République ont risqué dans une tribune de la presse écrite le terrible « éco-totalitarisme ». Parmi ces acharnés défenseurs du modèle économique dominant destructeur du « bien commun » on compte Christophe Castaner. Assurément, un fin connaisseur puisqu’il précéda Gérald Darmanin à l’Intérieur. On prépare là à l’évidence la criminalisation des divers mouvements hostiles à la poursuite incontrôlée du capitalisme débridé. Nos dirigeants qui de fait ne dirigent pratiquement plus que par procuration des lobbies envisagent de légiférer afin que désormais les auteurs des actes de ce « nouveau terrorisme » soient lourdement sanctionnés. L’Italie peut du reste leur fournir un excellent exemple : Giorgia Meloni, dès son arrivée aux affaires, a instauré une loi par laquelle ces actes insupportables au regard de l’ordre public sont maintenant punissables de six années de prison. Si l’éco-totalitarisme est une vue de l’esprit – sauf à considérer que le préfixe éco signifie économie et non écologie – le fascisme, lui, frappe bel et bien à nos portes. Alors, il va nous falloir être moins silencieux. Nous devrons même faire beaucoup de bruit.


Yann Fiévet
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