« 64 ans ? Borne out ! »

Modérateur: yann

« 64 ans ? Borne out ! »

Messagepar yann sur Dim 26 Fév 2023 12:39

« Ce n’est pas la rue qui gouverne ! »proclament régulièrement nos gouvernants. En cela ils se trompent lourdement : la rue n’entend nullement gouverner. En revanche, elle désire se faire vivement entendre en de graves circonstances face aux gouvernants dont elle n’est plus très sûre qu’ils gouvernent vraiment ou dont elle est désormais certaine qu’ils gouvernent par procuration des « milieux d’affaires ». Ainsi elle s’exprime souvent avec un humour provocateur comme en atteste certaines banderoles fièrement déployées lors des actuelles manifestations contre la réforme des retraites. La rue a de l’intelligence. Elle a fort bien compris la réalité profonde du projet de réforme qui se cache derrière la présentation trompeuse qui en est faite. Et, elle est étonnamment calme, contrairement au Palais Bourbon. Pour le coup, ne serait-ce pas l’Assemblée Nationale qui est à la rue ces temps-ci ?

La rue est un terme global bien méprisant à l’égard des centaines de milliers de nos concitoyens qui défilent sur le pavé des rues des villes petites et grandes depuis le début de l’année et à l’égard des millions de Français opposés à la réforme voulue avec acharnement par Emmanuel Macron. Tous ces gens savent que l’objectif de la réforme des retraites est purement financier : maintenir les dépenses de retraites à leur niveau
actuel, en dessous de 14% du PIB. Ce qui entraînera, en raison du vieillissement de la population, une baisse du niveau moyen des pensions par rapport à l’ensemble des revenus du travail. Ainsi, comme le souligne le Conseil d’orientation des retraites (COR), le niveau de vie des retraités diminuera par rapport à celui de l’ensemble de la population. Le crédo du macronisme et de la Commission européenne est que les retraites pèsent d’un poids excessif et contribuent aux déficits publics qu’il convient de réduire à n’importe quel prix.

Quand on analyse en détail l’évolution des comptes publics, on découvre que les causes principales
des déficits sont ailleurs. Leur augmentation, ces dernières années, provient d’abord de l’érosion des
recettes publiques, dont le poids en pourcentage du PIB n’a cessé de diminuer. De 2007 à 2021, les recettes fiscales de l’État sont passées de 14,2 % à 12,2 % du PIB. Cette érosion est due aux baisses d’impôts et de cotisations sociales, principalement en faveur des entreprises et des ménages les plus aisés. Cette politique anti-impôts s’est accélérée durant le premier quinquennat d’Emmanuel Macron, notamment par la suppression de l’ISF et des impôts de production versés par les entreprises. Cependant, il convient de pousser plus avant l’analyse des comptes publics. Contrairement au discours officiel, largement repris par la plupart des médias, les retraites sont loin d’être le poste de dépenses publiques dont la progression est la plus forte. Le record est détenu par les aides publiques aux entreprises (APE), dont la croissance a été de 5 % par an en termes réels (hors inflation) entre 2007 et 2021, soit 2,5 fois plus que les dépenses consacrées aux retraite.

Les APE – subventions publiques, crédits d’impôt et baisses de cotisations sociales patronales – posent pourtant un double problème. D’une part, il est reconnu qu’elles sont peu efficaces. Ainsi en est-il des baisses de cotisations sociales permises par le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), qu’Emmanuel Macron a pérennisé. D’autre part, les APE contribuent à déséquilibrer les comptes de l’État et de la protection sociale, dont font partie les retraites. Dans sa volonté farouche d’imposer l’austérité à l’assurance-vieillesse ainsi qu’aux services publics, le gouvernement s’oppose à tout débat sur la pertinence des APE, dont le
poids est devenu exorbitant, estimé à 160 milliards d’euros par an, soit 6,4% du PIB, bénéficiant surtout aux grandes entreprises. Il y a donc bien deux poids, deux mesures : on protège le capital et on sacrifie le travail. Dans le capitalisme néolibéral la production de profit dépend intrinsèquement de la déconstruction des protections sociales. En l’absence de gains de productivité suffisants, le travail doit être toujours plus pressuré. Voilà bien le sens de la succession des différentes réformes adoptées à marche forcée, en particulier celle des retraites, qui n’est que la poursuite des réformes du marché du travail ou de l’assurance-chômage.

Les atermoiements d’Elisabeth Borne tentant désespérément d’expliquer l’inexplicable cache le fait que nous sommes donc bel et bien confrontés à un choix de société. Elle a choisi d’endosser la responsabilité de la réforme des retraites devant le Parlement afin de boucher un trou de dix milliards d’euros tandis que le Président de la République annonce une enveloppe de quatre-cents milliards en sept ans pour « nos armées » ! Un autre signe confirme cette orientation : le budget de l’Etat adopté cet automne prévoit la création de 4500 emplois de militaires ou policiers et seulement 2500 emplois d’enseignants en 2023. Pour reprendre une image chère à Pierre Bourdieu on durcit la main droite de l’Etat tandis que l’on affaiblit sa main gauche. De fait ce constat renvoie à l’évolution du régime de la Ve République, où les élites dirigeantes ont fait le choix de transformer le modèle social français dans un sens néolibéral. Depuis les années 1980, cela consiste à épouser les intérêts et respecter les prérogatives des milieux d’affaires, en démantelant pas-à-pas l’État social bâti au cours du siècle dernier. Ce faisant, les droits et les capacités d’agir des citoyens ont été remises en cause de manière de plus en plus visible et profonde. Ceux-ci ont exprimé à de nombreuses reprises leur résistance à cette évolution. Mais comme l’Etat estime ne plus avoir les moyens de leur accorder des concessions, en raison de l’affaiblissement de l’économie capitaliste, il retourne contre les citoyens ordinaires toutes les armes que lui donne la Constitution. Ainsi, le pouvoir exécutif dispose des moyens de se retrancher dans les institutions et d’y produire des décisions, sans aucun égard pour les légitimités s’exprimant en dehors des échéances électorales.

Il ne suffit donc pas de proclamer que « la réforme est nécessaire » après avoir prétendu qu’elle était juste. Encore faut-il montrer ce qui, au fil des quarante dernières années, l’a rendu nécessaire et dire surtout qu’elle peut être financée autrement qu’en faisant travailler deux ans de plus les salariés les plus modestes. Il ne suffira pas qu’Elisabeth Borne s’en aille après avoir éventuellement échoué à faire adopter la réforme du Président. Ce n’est pas le fusible Borne qui doit sauter. C’est le projet de réforme qui doit passer à la trappe. Emmanuel Macron est-il en mesure de comprendre que l’opposition à sa réforme est profondément ancrée dans la société ? Lui et ses lieutenants brandissent facilement le mot légitimité. Eh bien, désormais la légitimité est dans la rue. Elle gronde pour la défense des conquêtes sociales d’hier et pour l’avenir de la dignité de tous ceux qui luttent vraiment pour faire triompher la justice sociale. Le printemps approche à grands pas. Il promet d’être chaud !

Yann Fiévet

Le Peuple Breton – Mars 2023
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