L’Ecole ouverte aux vents mauvais

Modérateur: yann

L’Ecole ouverte aux vents mauvais

Messagepar yann sur Dim 29 Oct 2023 20:11

L’Ecole fait toujours couler beaucoup d’encre… et de salive au sein des instances plus ou moins autorisées à parler d’elle et pour elle, notamment au moment d’évènements venant troubler la relative indifférence qu’elle suscite dramatiquement d’ordinaire en ces milieux. Le meurtre récent de Dominique Bernard à Arras, professeur de Lettres, sur le lieu même d’exercice de son métier, juste trois ans après l’assassinat de Samuel Paty, offre à notre effroi un nouvel avatar di chaotique intérêt de la Nation pour ce qui devrait être en toutes circonstances une exigence absolue, à savoir la sauvegarde indéfectible de l’espace crucial de la formation des futurs citoyens. Ce meurtre – rien ne permet de dire que cet homicide était prémédité – et cet assassinat, homicide qui lui avait été odieusement prémédité, sont insupportables. A chaque fois, le débat revient à propos du statut de l’Ecole comme sanctuaire, un lieu à part qu’il convient de protéger. Un grand malentendu surgit alors.



Au fil de ses vicissitudes l’Ecole continue de jouer son rôle. C’est précisément pour cela qu’elle est attaquée. Attaquée notamment par ceux qui placent les dogmes religieux au-dessus de tout, ceux pour qui « la loi de Dieu » est forcément supérieure aux lois des hommes. On les présente communément comme des ennemis de la démocratie. Ils le sont assurément. Cependant, ce qui nous occupe ici c’est leur haine viscérale de l’idée qu’il convient d’apprendre ici-bas aux enfants et aux adolescents à penser par eux-mêmes, donc strictement en dehors des préceptes des religions quelles qu’elles soient. Su l’on ose une comparaison entre les deux homicides précités on est frappé par un point commun et par une différence. Samuel Paty et Dominique Bernard avait tous deux pour « mission » de faire travailler leurs élèves sur des documents ou des œuvres directement issus de l’intelligence humaine en dehors évidemment de toute volonté divine. Ils leur apprenaient à appréhender le sensible de la vie sur terre, sa grande complexité, sa belle diversité, sa richesse infinie. Ils s’échinaient à leur montrer que le monde n’est pas binaire, qu’il ne se divise pas entre le Bien et le Mal. Une gageure peut-être, mais qu’il faut inlassablement relever. La différence maintenant, inquiétante sans doute. Pour empêcher Samuel Paty de continuer de nuire par son travail d’éveilleur des consciences ses assassins – direct ou par procuration – avaient eu besoin d’un prétexte, celui des caricatures du prophète. Dans le cas du meurtre de Dominique Bernard plus besoin de prétexte. Ou plutôt si : lui aussi était professeur. C’est donc cette figure même qu’il faut éliminer du paysage que les obscurantistes de toutes obédiences entendent nettoyer.



Cependant, l’Ecole doit rester ouverte ! Mais, qu’entend-on par cette formule généreuse ? Ici, le malentendu est patent, confine au dialogue de sourds de façon récurrente entre les profs et les « autorités compétentes ». Quand les premiers parlent de sanctuaire ils entendent que l’Ecole ait les moyens de se tenir à distance des perturbations ou des interférences extérieures pour la dispense des savoirs. Pour les seconds, l’idée de sanctuaire signifie nécessité de protéger matériellement les établissements scolaires des possibles agressions physiques venues de l’extérieur. Les premiers se situent sur un plan intellectuel, voire moral, quand les seconds adoptent une posture de type sécuritaire. Les tenants de cette dernière feraient volontiers, du moins certains d’entre eux, des écoles, collèges et lycées des bunkers impénétrables. Ainsi, certains réclament – tel le Patron des Républicains - l’instauration de « la reconnaissance faciale » en ces lieux « désormais trop exposés aux dangers extérieurs » alors que ce système a déjà maintes fois fait la preuve de son inefficacité pour l’identification rapide d’un individu quelconque parmi de nombreux autres. Une ciottise de plus ! On n’est plus à ça près dans l’escalade sécuritaire ambiante. Si certains profs cèdent, la peur contagieuse aidant, à cette idéologie du bunker, la plupart de leurs collègues en sont éloignés. Ils savent qu’elle rime trop facilement avec une vision binaire de la société dans laquelle il faut être « gentil avec les gentils et méchant avec les méchants ». Ils attendent autre chose. Ils savent surtout que l’Ecole étant partie intégrante de la société qui la génère elle ne saurait en être coupée totalement, que l’exercice de leur métier est menacé par d’autres fléaux – permanents ceux-là – plus pernicieux que l’intrusion heureusement très sporadique d’individus louches dans leur établissement.

Enseigner est autrement plus difficile aujourd’hui qu’hier. L’Ecole accueille des cohortes d’élèves nettement moins homogènes socialement qu’autrefois. Mais surtout le savoir transmis par les professeurs est sournoisement concurrencé par tout ce qui traîne sur les réseaux dits sociaux en tous genres particulièrement prisés par les jeunes. Apprendre à se méfier des fausses informations qui foisonnent chaque jour davantage sur Internet n’est pas chose aisée. C’est une lutte de tous les jours à laquelle s’adonnent ceux et celles qui sont chargés d’instruire nos chères têtes blondes et brunes. Ce n’est pas parce que c’est sur la Toile que c’est une information digne de foi ! Du reste, est-ce de l’information fiable ou bien plutôt de la communication vulgaire ? Ainsi, des vents mauvais soufflent sur l’Ecole que les pouvoirs publics ne cherchent en rien à contenir car l’on ne saurait brider les forces du marché. L’horreur internautique tient peut-être en ceci : la part des 8-10 ans disposant d’un compte sur les « réseaux sociaux » ne cesse de croître. Il convient d’introduire ici la question des inégalités sociales. La crédulité des jeunes n’est pas uniforme : elle est sensiblement plus forte dans les milieux sociaux défavorisés. Dans les milieux favorisés les enfants et adolescents bénéficient en dehors de l’Ecole d’armes culturelles et du fécond dialogue intergénérationnel propices à les prémunir relativement mieux contre les dangereuses élucubrations des réseaux sociaux. Nous n’avons donc rien à gagner à l’absence de mixité sociale à l’Ecole. Or, les multiples réformes qui se sont succédées pour la transformer n’ont fait depuis longtemps qu’accentuer les inégalités en son sein et accentuer l’uniformisation des classes. Ainsi, dans les collèges et lycées de « seconde zone » les jeunes des milieux les moins favorisés se retrouvent entre eux au sein qui plus est de classes souvent surchargées. Les autorités comptent bravement sur leurs professeurs pour les faire avancer sur le droit chemin. Un travail de bénédictin !

Tout va bientôt changer. Gaby le Magnifique est arrivé ! Il n’a jamais enseigné, ne s’est probablement jamais demandé sérieusement ce qu’enseigner veut dire mais a pourtant déjà commencé, du haut de ses trente-quatre balais, à dire aux professeurs, pour la plupart fort chevronnés, comment il doivent travailler désormais. Quelle fatuité ! On en rirait si la situation n’était pas si tragique. Décidément, l’Ecole que nous voulons mérite mieux que ce ministre d’opérette.

Yann Fiévet
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